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temporel ; elle pouvait le servir au dehors et au dedans ; depuis longtemps, peut-être même au plus fort de la querelle, il a dû se dire : « Elle sera mienne. » Et il a saisi la première occasion favorable pour le transport de cette force dans son laboratoire. Une difficulté se présentait, qui eût arrêté un politique vulgaire ; M. de Bismarck avait pour d’autres fins un besoin égal de l’Italie. L’opération simple eût été de choisir entre ces deux élémens, réfractaires l’un à l’autre. Le chancelier a préféré l’opération complexe et doublement avantageuse : réunir ces élémens dans sa main, les tenir d’autant mieux par une émulation de craintes ou d’espérances. Si nous avions sous les yeux les négociations échangées entre les deux chancelleries de Rome et celle de Berlin, nous n’y trouverions qu’une paraphrase sérieuse de la scène immortelle entre Célimène et les marquis. Plus on étudie la politique actuelle sur les deux bords du Tibre, plus on la voit tout absorbée dans un même effort des deux rivaux. Le Vatican sollicite une promesse formelle de l’Allemagne pour le rétablissement du pouvoir temporel, et comme il espère cette promesse, il s’engage. Le Quirinal demande l’assurance contraire, et comme il se flatte de l’obtenir, il s’engage. À ces importunités, chaque jour plus pressantes, la réponse amicale est toujours la même :


Mon Dieu ! que cette instance est là hors de saison,
Et que vous témoignez tous deux peu de raison !
Je sais prendre parti sur cette préférence…


Hâtons-nous d’ajouter que la poursuite de la grandeur temporelle ne suffit pas à expliquer l’empressement de la curie vis-à-vis des avances de l’Allemagne. Avant tout, et personne n’a le droit d’en douter, le Père des fidèles a vu dans cette bonne fortune le bien d’une partie de son troupeau. Qui oserait le blâmer de s’être montré pacifique et déférent ? La discussion de ce qu’on appelle déjà « la politique allemande de l’église » ne peut porter que sur une question de mesure. Cette mesure n’a-t-elle pas été dépassée ? N’est-il pas à craindre que l’amitié du pontife, trop bien servie par ses négociateurs, ne prenne une apparence de docilité ? J’en appelle à tous ceux qui ont suivi les affaires de Rome depuis quelques mois, à ceux-là surtout qui les ont suivies à Rome, qui ont surpris l’allégresse et les espérances de certains conseillers, magnétisés par les promesses ou par les aigles rouges du grand enchanteur. Tous m’accorderont que le courant nouveau emporte la barque de saint Pierre avec une rapidité croissante. Vers quels écueils ? Je ne veux répondre