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tutrice et l’avocate des intérêts populaires, elle remonte à ses époques héroïques, et par-delà, aux leçons et aux exemples de son Maître ; elle applique son code, l’évangile. Je ne veux pas insister sur une vérité évidente, banale à force d’avoir été démontrée ; je l’appuierai seulement d’une de ces réflexions qui naissent ici du spectacle des choses. Quand on regarde la Rome monumentale, on est frappé par un fait d’abord inexplicable : la prédominance de l’apôtre saint Pierre, qui opprime, qui écrase l’apôtre saint Paul. Pierre trône partout, il emplit l’horizon et le ciel, Paul est relégué dans une basilique lointaine, isolée, on en fait peu d’état. Cela confond les données historiques que nous avons sur les deux fondateurs du christianisme. Paul est un très grand génie, il a l’intelligence profonde, la chaleur du cœur, les œuvres actives ; c’est lui qui a converti à la doctrine presque tous les pays essentiels du monde antique, parce qu’il possédait l’instrument approprié, le grec, la langue ailée et prosélytique. Au contraire, Pierre est un caractère ordinaire, un esprit moins brillant, humainement parlant ; il se fait connaître à nous par trois défaillances et par d’assez naïves questions d’enfant sur les places dans le ciel. Pourquoi donc est-ce lui qui devient la pierre d’angle, aux dépens de son incomparable rival ? Pourquoi l’église a-t-elle choisi comme ferait le suffrage universel, qui préférerait certainement Pierre à Paul ? Précisément, parce que ce pêcheur est peuple et rien que peuple, tandis que Paul est un philosophe, un esprit rare, un de l’élite. Le triomphe du premier marque tout de suite, en politique, le caractère populaire du christianisme aussi bien que l’exigence fondamentale de la doctrine religieuse, l’humiliation du sage devant le simple, du raisonnement devant le sentiment.

L’église sait tout cela mieux que nous ; des signes nombreux nous annoncent qu’elle est en travail, qu’elle commence sa double révolution, du romanisme vers une catholicité[1] plus large, de la diplomatie de cabinet vers l’apostolat démocratique. Dans le premier ordre d’idées, l’église n’avait qu’à suivre sa pente ; dès qu’une porte, fermée auparavant, s’entr’ouvre devant elle, elle y passe. On a vu, depuis quelque temps, ses nonces introduits chez les puissances infidèles ou séparées de Rome ; partout elle noue des liens nouveaux, elle rattache les anciens qui s’étaient rompus. Pie IX avait restauré l’épiscopat catholique en Angleterre, aux États-Unis, en Bulgarie ; son successeur a relevé la primatie d’Afrique, il

  1. Pour éviter tout malentendu dans ces matières délicates, je prie le lecteur de prendre ces mots dans leur sens géographique, politique, et d’écarter les acceptions théologiques qu’ils comportent en d’autres cas.