Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la violence du courant qui emporte l’église, à la suite de la société civile, dans une direction de plus en plus démocratique. Il vient battre les vieilles murailles du Vatican ; il y trouve un pontife qui n’est certes pas indifférent à ces questions. Son grand esprit les apercevait, alors qu’étant encore archevêque de Pérouse, il écrivait dans sa lettre pastorale de 1877 : « En présence de ces êtres épuisés avant l’heure par le fait d’une cupidité sans entrailles, on se demande si les adeptes de cette civilisation en dehors de l’église et sans Dieu, au lieu de nous faire progresser, ne nous rejettent pas de plusieurs siècles en arrière, nous ramenant à ces époques de deuil où l’esclavage écrasait une si grande partie de l’humanité, et où le poète s’écriait tristement : le genre humain ne vit que pour quelques rares privilégiés ; humanum paucis vivit genus. » Depuis qu’il a ceint la tiare, le cardinal Pecci n’a pas cru devoir accélérer le mouvement, et d’autres soucis l’absorbent. Mais il est impossible de ne pas prévoir le jour où le courant portera sur le trône de saint Pierre un pape animé des sentimens du cardinal Gibbons, du cardinal Manning. Ce jour-là, l’église se dressera dans le monde comme la plus formidable puissance qu’il ait jamais connue. Nos fils sont peut-être appelés à voir renaître les grandes luttes du moyen âge entre la papauté et les pouvoirs laïques ; mais, cette fois, la papauté s’appuierait sur un peuple innombrable et sur l’interprétation irréfutable de l’évangile dont elle est gardienne. Je ne pense pas qu’il faille redouter cette évolution ; je pense qu’il faut la désirer. Tous ceux qui regardent devant eux sont persuadés que rien ne peut préserver le monde de la crue démocratique et du socialisme qui l’accompagne ; on chercherait vainement en dehors de l’église une force capable de limiter cette crue et de la diriger. Mais l’église ne pourra la diriger qu’en redevenant la chose du peuple, en se mettant à sa tête ; le peuple ne se réconciliera avec elle que le jour où il la sentira bien à lui, toute à lui.

Ces assertions auraient bien peu de valeur, s’il n’y avait derrière elles que l’opinion d’un publiciste irresponsable. Je ne fais que répéter ce que viennent de dire tout haut le primat de l’église d’Amérique, le primat de l’église d’Angleterre ; ce qu’on murmure plus timidement dans beaucoup de maisons épiscopales, en Allemagne, en Belgique, en Suisse.


V

Le pouvoir temporel, la réconciliation avec l’Italie, les négociations avec l’Allemagne, ce sont là aujourd’hui les affaires de Rome,