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façon à la fois si complète et si large, avec un sens aussi soutenu du rythme sculptural et de l’agrément plastique. Dieu sait cependant si nous en avons vu, depuis plusieurs années, couchés à terre, de ces petits corps, vivans ou morts, d’adolescens maigriots et chétifs, qui offrent au ciseau du sculpteur un motif d’étude si facile, mais souvent si ennuyeux ! L’Abel de M. Carlès se distingue vraiment de presque tous ses aînés ; c’est un morceau de choix, et presque d’un grand style. Mais pourquoi avoir posé cette jolie figure sur une plinthe si massive, dont les bas-reliefs, vaguement esquissés comme des pochades peintes, n’ont vraiment ni la gravité ni la finesse qui conviennent à l’œuvre remarquable qu’ils s’accompagnent ? Une autre figure du même genre, le jeune Icare de M. Mengin, tombé dans les flots, est aussi très bonne à regarder, même après l’Abel de M. Carlès. C’est une facture d’un autre genre, plus douce, plus attendrie, dans une matière plus séduisante et d’un grain plus transparent ; l’accent n’en est pas aussi ferme, mais le charme en est très délicat.

MM. Hector Lemaire, Desbois, Hexamer sont aussi de bons ouvriers du marbre. Le Matin de M. Lemaire, jeune femme nue, assise sur un socle, en train de démêler, de ses deux mains dressées au-dessus de sa tête, les longues mèches de son épaisse chevelure, est mieux qu’une étude d’après nature ; c’est une jolie figure, un peu grassouillette, dont la tête souriante, à la façon lombarde, serait plus charmante encore si les cheveux étaient massés et traités avec plus de simplicité. Il faut laisser aux praticiens d’Italie ces puériles oppositions de rugosités et de polissures, de mats et de luisans qui altèrent la splendeur solide du marbre, aussi bien que ces amollissemens fades et lascifs des carnations qui déshonorent sa tranquille pureté. Nous ne voulons pas dire que M. Hector Lemaire donne dans ces afféteries, mais c’est déjà trop que, lui et quelques autres leur témoignent certaines indulgences. M. Desbois, dans son jeune Acis penché sur le bord d’un ruisseau, s’est aussi arrêté juste à temps dans cette caresse de la belle matière, qui offre tant de tentations au sculpteur ; un peu plus, et le corps souple et délicat de son bel adolescent allait se fondre sous le ciseau trop habile. Cette figure, travaillée à point, a bien mérité sa médaille. On regarde encore avec plaisir le Gazouillis de M. Hexamer, jeune fille agenouillée, couronnée de fleurs, d’une attitude naïve et d’une expression candide, qui se soulève pour entendre on ne sait quel concert idéal résonnant beaucoup moins dans l’air printanier que dans son propre cœur. L’exécution en est ferme et délicate, sans dureté comme sans afféterie. On ne saurait mieux terminer une promenade à travers les marbres qu’en s’arrêtant devant l’Inspiration de M. Gautherin, muse gracieuse et pensive, de la tendre lignée des muses de Lesueur,