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magistrats. Le reste, il faut l’avouer, est pris un peu au hasard, dans la masse, et, par le fait, ce cabinet, né le 31 mai, est composé, au moins en partie, d’une manière assez bizarre, un peu inattendue. Il ressemble un peu à une improvisation incohérente ; il n’existe pas moins, et le nouveau président du conseil, une fois son ministère fait, est allé bravement porter son programme aux chambres, promettant des économies, des réformes pratiques, ne désavouant, bien entendu, ni ses traditions ni ses opinions républicaines, mais évitant tout ce qui aurait pu froisser les conservateurs, et appelant enfin « tous les patriotes » une œuvre d’apaisement. » Tout cela dit d’un ton net, assez décidé, par un homme qui ne manque certes pas de confiance en lui-même et qui sent bien, de plus, que du premier coup, pour son avènement au poste de chef de gouvernement, il joue une grosse partie.

Que représentait-il donc et que représente-t-il, en réalité, ce ministère ainsi composé de la main de M. Rouvier ? Il ne faut point évidemment trop s’attacher aux mots et aux apparences. Que le nouveau président du conseil le veuille ou ne le veuille pas, qu’il continue à mettre dans ses discours, comme il l’a fait l’autre jour pour son début, cette éternelle banalité de la « concentration républicaine, » il a été conduit, et par la force des choses et par les dispositions des partis, à former son cabinet d’une certaine façon. Il a dû commencer par exclure de sa combinaison un ministre de la guerre qui s’était fait une équivoque et dangereuse popularité de faction ; il y a des gages qu’il n’a pas pu ou voulu donner et des conditions qu’il a refusé de subir dans ses arrangemens ministériels. Bref, quels que soient les noms de quelques-uns des nouveaux ministres, quel que soit le langage de circonstance que le chef du cabinet se croie obligé de tenir par une sorte d’habitude, les choses restent ce qu’elles sont : ce ministère du 31 mai, tel qu’il est, tel qu’il peut être dans les conditions présentes, est forcément un ministère de trêve, de halte sur une route qui conduisait fatalement, à travers les concessions et les faiblesses, à une prépondérance complète et définitive du radicalisme dans les affaires publiques. C’est un ministère composé en grande partie d’une fraction républicaine relativement modérée qui, depuis longtemps, voudrait s’arrêter, et jusqu’ici n’a pas osé s’y décider, qui ne croit point impossible de d’entendre librement, pratiquement avec les conservateurs, en les rassurant sur les Intérêts et les sentimens qu’ils représentent. Il est au fond cela ou il n’est plus rien ; il représente, si l’on veut, une tendance encore plus qu’une politique précise avouée, et s’il avait fallu un fait pour éclairer, pour caractériser cette situation assurément singulière, les radicaux se sont du premier coup chargés de la démonstration par les colères et les fureurs avec lesquelles ils ont accueilli le cabinet nouveau. À peine le ministère avait-il vu le jour, en effet, les radicaux du Palais-Bourbon se sont jetés sur lui comme sur un simple