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ministère réactionnaire ; ils l’ont assailli pour son début, à son apparition sur le banc ministériel, d’injures et d’imprécations, comme s’il avait pour le moins trahi la république ! Les radicaux, dans une circonstance aussi mémorable, ne pouvaient, on le comprend, se dispenser d’interpeller le ministère. Ils se sont efforcés de lui tendre des pièges, de le provoquer à des déclarations qui pouvaient être périlleuses, de lui demander sans plus de retard des reformes qu’il ne pouvait évidemment avoir préparées en quelques heures. La gauche radicale et l’extrême gauche, livrant l’assaut de compagnie, ont voulu savoir si le ministère poursuivrait la « laïcisation, » — la grande œuvre républicaine, — s’il n’allait pas par hasard exempter les séminaristes du service militaire, à quelles conditions il avait traité avec la droite, — et même s’il n’avait pas négocié avec M. le comte de Paris, qui a visiblement des intelligences à l’Elysée !

Voilà bien des sottises et bien du bruit pour un ministère Rouvier ! Et à quoi tout cela a-t-il abouti en fin de compte ? M. Rouvier a tenu tête à l’orage sans trop se laisser intimider, non cependant sans paraître un peu étonné de la nouveauté de son rôle ; le nouveau ministre de la guerre, M. le général Ferron, en s’embrouillant un peu dans la politique, a fini par se retrouver comme soldat, et tout compte fait, malgré tant de bruit, au scrutin qui a clos cette échauffourée, le ministère a eu une assez forte majorité. Le premier combat qui lui a été offert a été pour lui l’occasion d’un premier succès, que les conservateurs ont contribué à lui assurer. Il est vrai que des commentateurs ingénieux et subtils ont mis aussitôt toute leur finesse à démontrer que, même sans la droite, le ministère aurait en encore une majorité parmi les républicains. C’est très consolant, et sut tout digne des casuistes qui s’arrangent pour désavouer au besoin, par des interprétations captieuses, les votes dont ils profitent.

Soit ! la moralité des faits et des situations reste la même. La vérité est que les radicaux, désappointés et irrités par le dénoûment de la dernière crise, qui les a atteints dans quelques-uns de leurs représentans se sont laissé emporter sans réflexion à une singulière campagne. Ils auraient été assurément plus habiles s’ils avaient en l’art de se contenir » s’ils avaient su montrer une certaine réserve et attendre à l’œuvre ce ministère naissant, qui, après tout, se présentait encore avec l’ambition de réaliser à sa manière une « concentration républicaine. » Au lieu d’agir ainsi, ils n’ont pas pu même attendre une heure, différer d’un instant l’attaque contre un pouvoir auquel ils ont déclaré la guerre sans l’écouter. Ils ont cru vaincre par la violence, et ils n’ont réussi qu’à aggraver les scissions, à accentuer plus vivement la position et le caractère d’un gouvernement qui, n’ayant rien à attendre d’eux, ne peut plus songer qu’à chercher un appui dans les autres parties de la chambre. Aujourd’hui, la rupture est accomplie. M. Rou-