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confidentielles de M. le duc Decazes, alors ministre des affaires étrangères. Ces révélations, on devait s’y attendre, ont excité quelque émotion chez les Allemands, et ont provoqué des réponses qui ont paru d’abord, par une singularité assez bizarre, à Constantinople, puis à Berlin, qui ont pour objet naturellement de mettre dans le jour le plus éclatant la candeur et l’innocence de l’Allemagne. Tout cela est certes fait pour piquer la curiosité et n’est peut-être pas aussi utile que piquant. À parler franchement, il y a quelque chose d’un peu extraordinaire dans cet incident. M. le général Le Flo, qui est un vieux et digne soldat vivant aujourd’hui dans la retraite, a cru sans nul doute servir son pays comme il l’a toujours fait ; il a vidé son portefeuille à bonne intention, sans se demander s’il pouvait disposer de ses dépêches, surtout s’il avait le droit de livrer les lettres de M. le duc Decazes. L’ancien ambassadeur, abusé par son zèle, n’a pas pris garde qu’en s’affranchissant des plus simples règles de discrétion diplomatique, il donnait un assez dangereux exemple, et c’est si vrai qu’après lui l’attaché militaire à Berlin s’est cru obligé de porter, lui aussi, son témoignage. Avec ces procédés, il faut l’avouer, qu’on soit sous la république, qu’on soit sous la monarchie, il n’y a plus de diplomatie possible, et toute liberté est bannie des conversations qu’un souverain peut avoir avec un ambassadeur. L’inconvénient de ces révélations est de plus d’être nécessairement incomplètes, de ne dire qu’une partie de la vérité, ce qu’un ambassadeur a pu voir et savoir dans la cour où il est accrédité, — et c’est justement l’histoire de ces récentes divulgations de notre ancien représentant à Saint-Pétersbourg.

Que l’empereur Alexandre II, en 1875, ait témoigné les sentimens modérés, concilians, sympathiques pour la France, dont M. le général Le Flo a recueilli l’expression, qu’il ait porté ces sentimens à Berlin et qu’il ait exercé son influence pour le maintien de la paix chère à notre pays, ce n’est là certainement que la vérité ; c’est une justice qu’on peut rendre à la mémoire de l’infortuné souverain. La Russie d’Alexandre II et du prince Gortchakof s’est conduite, à cette époque, avec la sagacité d’une puissance qui se sentait intéressée à ne pas laisser éclater une guerre nouvelle dont le résultat pouvait être de faire de l’Allemagne l’arbitre unique et irrésistible de l’Europe. Elle se montrait sympathique pour la France, qui lui en a su gré ; elle consultait surtout ses intérêts, comme elle les a consultés depuis, et cet intérêt supérieur que la Russie met à surveiller, à contenir des événemens qui pourraient être la ruine du continent, est encore assurément une garantie pour notre pays. C’est vrai aujourd’hui, c’était déjà vrai en 1875 ; mais ce qui peut être aussi considéré comme certain, c’est qu’à l’époque de cette première crise, l’intervention russe avait été précédée d’une autre intervention : c’est que M. le duc Decazes ne tournait pas