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seulement ses regards vers Saint-Pétersbourg, et qu’avant le voyage de l’empereur Alexandre II à Berlin, l’Angleterre s’était déjà employée énergiquement pour la sauvegarde de la paix. La reine Victoria avait écrit une lettre pleine de force à l’empereur Guillaume, et lord Derby, alors chef du foreign-office, qui n’ignorait pas le danger, qui connaissait aussi les vraies dispositions de la France, s’exprimait devant le parlement dans des termes qui ne laissaient aucun doute sur les sentimens de la nation et du gouvernement britanniques. Les Anglais ont changé depuis, et ils ont même montré, dans les circonstances récentes, une certaine âpreté d’humeur jalouse et malveillante à l’égard de la France ; en 1875, — puisqu’il ne s’agit que de 1875, — ils contribuaient au moins autant que les Russes à détourner une guerre que les uns et les autres prévoyaient, et c’est en ce sens que les révélations un peu indiscrètes de M. le général Le Flo risqueraient de donner une idée inexacte ou incomplète des choses en paraissant représenter la Russie comme ayant seule préservé la paix du monde.

Cela dit, il est bien clair que, dans le fond, notre ancien ambassadeur ne se méprenait pas sur le danger de la situation, et c’est une entreprise assez vaine aujourd’hui de prétendre démontrer que tous ces bruits de guerre, ces menaces ne furent jamais qu’une fantasmagorie créée par l’imagination française et par la malignité du prince Gortchakof. C’est pourtant ce qu’on paraît s’être proposé ces jours derniers à Berlin, en opposant aux révélations de M. le général Le Flo des fragmens de dépêches du prince de Reuss, alors ambassadeur de l’empereur Guillaume à Saint-Pétersbourg. Le prince de Reuss rend compte à M. de Bismarck de quelques conversations du général de Werder, représentant militaire allemand, de l’envoyé d’Autriche, baron de Langenau, et de lui-même avec l’empereur Alexandre. Or que prouvent ces dépêches, ces conversations ? Alexandre II, il est vrai, désavoue toute pensée de défiance au sujet des intentions du gouvernement allemand, surtout à l’égard de son oncle l’empereur Guillaume. Il croit qu’on ne veut que la paix à Berlin ; mais, en même temps, il n’hésite pas à avouer qu’il est seul à penser ainsi, que personne ne veut partager sa confiance, que tout le monde cherche à Berlin la cause des inquiétudes qui se répandent de temps à autre en Europe. « Ce sont les journaux considérés comme les organes de votre ministère des affaires étrangères, disait-il, qui avaient contribué à répandre les craintes de guerre par des articles alarmistes, et les démentis assez peu adroits qu’on leur avait donnés avaient fait croire que, en effet, on avait voulu la guerre. » C’était une manière ingénieuse de constater la réalité de la crise, tout en ayant l’air de la pallier ou de l’expliquer sans trop désobliger M. de Bismarck ; et ce qui se passait alors, c’est ce qui s’est passé encore une fois plus récemment. Le malheur est qu’avec ce système qui