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parti s’acharnant sur l’armée, cette dernière garantie de la puissance française, le temps perdu en discussions stériles, les fanatismes vulgaires renaissant de la confusion, le désordre faisant cortège à un César de fantaisie ou de rencontre. Le pays souffre de tout cela, et il sent aussi que le moment est venu de se décider, de savoir si on persistera dans un système qui a tout compromis, les garanties libérales aussi bien que les garanties de gouvernement, ou si, par un effort patient, persévérant, on essaiera de se ressaisir, de replacer la France dans les conditions d’un régime sérieux, d’un gouvernement d’équité et de prévoyance. Au fond, c’est de cela qu’il s’agit dans tous ces incidens du jour, dans cette interpellation d’hier comme dans les agitations de la dernière semaine. C’est le secret de l’apparence de faveur obtenue par un ministère dont toute la force est d’avoir semblé avoir fait son choix, d’avoir osé avouer une politique d’apaisement, d’avoir répondu par son attitude, par son langage, à un certain instinct public, qui demande qu’on en finisse avec toutes les violences et toutes les fantasmagories.

Que signifie, en réalité, cette interpellation aussi bruyante qu’inutile, qui vient de passionner ou de distraire la chambre pendant tout un jour, qui peut passer pour un épilogue de la session? C’est la médiocre revanche d’un parti déconcerté et impuissant. Si les radicaux ont cru être les interprètes du pays, c’est qu’évidemment, au cours de leurs récens voyages, ils n’ont étudié le pays que dans les conciliabules de leurs amis, irrités comme eux de voir leur influence en péril. S’ils ont cru embarrasser le gouvernement en l’assaillant de toute sorte de questions oiseuses ou puériles sur les « menées monarchistes et cléricales, » sur les visites du nonce chez M. de Mackau ou de M. de Mackau à l’Elysée, sur la présence de M. le comte de Paris à Jersey, sur l’éternel pacte avec la droite, ils se sont étrangement abusés : ils n’ont fait que préparer au ministère un succès facile et décisif, en offrant à M. le président du conseil l’occasion de les traiter avec une ironie dégagée et cavalière, de renouveler ses déclarations d’impartialité libérale et d’équité à l’égard de toutes les opinions ; ils ont même ménagé à M. Rouvier l’avantage d’aborder sans façon les questions les plus délicates, avec l’assentiment visible de la grande majorité de la chambre. Les radicaux n’ont pas été décidément d’habiles tacticiens. Ils ont surtout mal choisi leur moment. Ils se sont trompés en faisant tout ce bruit après un fracas bien autrement retentissant, dont ils n’ont pas laissé d’être eux-mêmes un peu embarrassés, au lendemain de ces scènes qui se sont produites à la gare de Lyon, à l’occasion du départ de M. le général Boulanger pour Clermont-Ferrand, et qui ont été, certes, une manifestation radicale des mieux réussies. On ne peut pas dire que le hasard avait présidé à la fête, que tout avait été improvisé par un sentiment populaire spontané et irrésistible.