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propice que l’art passé… Ah ! puissions-nous avoir un jour comme le 11 mai, et alors nos infâmes envieux, nos voisins perfides changeraient bientôt de langage, et la paix en deviendrait pour nous plus glorieuse et plus sûre[1] ! »

À ces calculs faits, comme on peut le voir, dans un intérêt tout personnel, qu’il confondait volontiers avec celui de la cause commune (tout en étant toujours prêt à s’en détacher), se joignait-il dans le fond de l’âme quelqu’une de ces suggestions de l’amour-propre inquiet, qu’on ne s’avoue pas à soi-même et dont le génie même ne réussit pas toujours à se préserver ? On sait quel plaisir il avait pris, pendant la campagne précédente, à accuser l’incapacité, la lâcheté même de tous les Français, souverain, princes et généraux ; le tout suivi toujours d’un retour orgueilleux sur lui-même et sur la comparaison que la postérité aurait à faire entre le jeune héros de la nouvelle grandeur prussienne et les héritiers dégénérés de Louis XIV. Ce sentiment s’était même fait jour dans les complimens, trop exagérés pour être sincères, dont il avait cru un moment de son intérêt d’accabler les débuts de Louis XV dans la carrière des armes. Lui déplaisait-il d’être, cette fois, obligé de parler sérieusement et de reconnaître que, si la comparaison n’était pas encore retournée à son désavantage, il devait au moins entrer en partage de gloire avec un monarque son égal ? Qui peut connaître le fond des cœurs ? Ce qui est certain, c’est que ceux qui avaient à lui faire leur cour, pour se mettre en grâce, ne croyaient pas pouvoir mieux s’y prendre qu’en diminuant l’importance de la journée de Fontenoy, et surtout de la part personnelle que le roi de France y avait prise. Ce sont souvent les serviteurs qui devinent les faiblesses des maîtres, et les trahissent par le soin qu’ils mettent à leur complaire.

C’est Chambrier, par exemple, qui écrit de Lille, d’où il se prépare à aller rejoindre le roi pour lui faire compliment : — « La suite fera connaître de quelle importance est le gain de cette bataille ; mais il y a des gens qui croient que cette affaire n’est pas finie et que les alliés pourraient bien revenir à la charge. Les Français vantent la bonne contenance de leur roi et du dauphin, au point qu’on pourrait croire qu’il peut y avoir un peu d’exagération… » — « Ce sera quelque chose de bien singulier, ajoute-t-il, s’il ne résulte pas ici, de cette victoire, une enflure si considérable qu’on ne saura plus comment parler à ces gens-ci, tant ils auront les oreilles chatouilleuses sur les choses qui ne sont pas de leur goût, par la délicatesse qu’ils témoignaient, malgré leurs revers, dès qu’il s’agissait de quelque chose qui blessait un peu le ton de hauteur que Louis XIV

  1. Frédéric à Podewils, 21-22 mai 1745. — Pol. Corr., t. IV, p. 172-174.