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et vous supplie de prier la reine de continuer toujours ses bontés, de même que vous. »

Rentré dans sa tente, Frédéric remit, comme il l’avait annoncé au messager de Louis XV, un petit billet ainsi conçu : — « Monsieur mon frère, j’ai la satisfaction d’apprendre à Votre Majesté que mes armées viennent de remporter une victoire sur les Autrichiens et Saxons ; comme MM. de Valori et de La Tour y ont été présens, je m’en rapporte à la relation qu’ils en feront à Votre Majesté. Elle aura vu que je n’ai pas tardé à suivre son exemple ; c’est à présent le tour du prince de Conti. » — Et, en post-scriptum, seulement ces deux lignes : — « Je félicite Votre Majesté sur l’action glorieuse qui s’est passée à Fontenoy et sur la prise de Tournay[1]. »


II

Le ciel s’était donc subitement éclairci de tous les côtés de l’horizon ; Frédéric passait de l’extrême péril à tout l’éclat d’une gloire nouvelle, et l’alliance des cours de France et de Prusse, naguère si fortement ébranlée par une série de mécomptes et de mésaventures, semblait de nouveau raffermie par une double victoire. Ce changement à vue était complété par d’excellentes nouvelles venues d’Italie, où le maréchal de Maillebois, qui avait fait échange de commandement avec le prince de Conti, venait de faire la plus brillante entrée de campagne. Pressé par les armées réunies de France et d’Espagne, le général autrichien Lobkowitz abandonnait les côtes de la Méditerranée pour se retirer dans le Milanais, et la république de Gênes, jusque-là engagée dans la cause de Marie-Thérèse, se trouvant sans défense, faisait sa soumission aux deux maisons royales de Bourbon par un traité signé à Aranjuez le 4 juin, quinze jours après Fontenoy, et le jour même de Friedberg. Tout souriait donc aux deux vainqueurs ; restait à savoir quel parti ils sauraient tirer, pour leur cause commune, des avantages qu’ils venaient de conquérir, chacun pour son compte, à la pointe de l’épée, par des efforts séparés.

Il était un fruit de leur triomphe qui semblait leur être assuré, pour peu qu’ils voulussent bien, se rapprochant l’un de l’autre, joindre leurs mains pour le cueillir : c’était le choix d’un candidat à leur gré pour le trône impérial. Nul doute que si Louis XV (comme Frédéric l’en pressait), profitant de l’émotion causée par ce réveil de la gloire et de la puissance françaises, eût donné ordre au prince de Conti de s’avancer rapidement en Allemagne et de

  1. Histoire de mon temps, chap. XIII. — Frédéric à Louis XV, 4 juin 1745. — Pol. Corr., t.. III, p. 182. — D’Arneth, t. III, p. 72, 77, 410.