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n’a pas pu vaincre leur obstination, il faut bien qu’on finisse par y céder. C’est un pardon ou plutôt un sursis qu’on leur accorde, d’assez mauvaise grâce ; ce n’est pas un droit qu’on leur reconnaît. Rien, dans les déclarations de l’empereur, n’engage l’avenir. Il fait un sacrifice à la tranquillité publique, mais la guerre pourra recommencer, quand l’occasion sera redevenue favorable. Il n’y a rien de semblable dans l’édit de Milan, plus de ces réticences menaçantes, plus de ces concessions faites de mauvaise humeur, auxquelles on ne peut se fier qu’à moitié : l’empereur y reconnaît ouvertement que chacun peut suivre désormais la religion qu’il préfère et qui lui convient le mieux (quam quisque delegerit, quam ipse sibi aptissimam esse sentiret), ce qui revient à dire qu’elle ne doit pas être imposée par la force, mais qu’il faut en laisser le choix à la volonté de chacun. À cinq reprises, il déclare qu’il accorde aux chrétiens et à tout le monde la liberté de pratiquer leur culte, et cette liberté, il veut qu’elle soit entière et sans réserves (liberam atque absolutam colendæ religionis suæ facultatem). C’est un système nouveau qu’il inaugure, un système qui lui paraît conforme à la sagesse et à la raison (hoc consilio salubri et rectissima ratione ineundum esse credidimus). Voilà donc le principe de la tolérance religieuse proclamé officiellement par un empereur. Comme je viens de le dire, c’est la première fois que le monde entendait ce langage.

Quelles sont les considérations sur lesquelles s’appuie Constantin pour légitimer la résolution qu’il a prise, et pourquoi lui semble-t-il bon et sage qu’on ne gêne les croyances de personne ? C’est ce qui vaut la peine d’être remarqué. Il n’a garde d’invoquer, comme nous le ferions aujourd’hui, des principes philosophiques ; il ne s’autorise pas non plus, ce qui serait très naturel, de l’intérêt de l’état, et ne présente pas la tolérance, comme un expédient utile pour faire vivre en paix des cultes différens. Ses motifs, si nous les prenons à la lettre, ont un caractère tout religieux. Il veut qu’on respecte tous les dieux, de peur de s’en faire des ennemis ; il espère que si aucun d’eux n’a lieu d’être mécontent, ils s’uniront ensemble pour assurer le bonheur d’un empire qui les traite si bien : « C’est le moyen, dit-il, que la divinité, qui est dans le ciel, favorise les princes et tous ceux qui vivent sous leur domination (quo quidem Divinitas in sede cœlesti nobis atque omnibus qui sub potestate nostra sunt placuta ae propitia possit existere) ; et ici le texte grec est plus explicite et fait mieux comprendre la pensée de Constantin : au lieu du terme vague de Divinitas, il dit : « Tout ce qu’il y a de divinité et de puissance céleste, ὅ τί ποτέ ἐστι Θειότης καὶ οὐρανίου πράγματος. » À ne considérer que cette formule, qui se reproduit trois fois presque dans les mêmes termes, il ne faudrait