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pas regarder l’auteur de l’édit comme un philosophe qui rend aux hommes l’exercice d’un droit sacré, ou comme un politique qui ne songe qu’à la paix de ses états ; ce serait plutôt un dévot qui croit accomplir un acte pieux et se concilier tous les dieux en tolérant tous les cultes.

Mais ce dévot, à quelle religion particulière appartient-il ? Parmi tous ces dieux qu’il protège, quel est celui qu’il adore pour son compte et qui lui a donné la bonne pensée de ne proscrire aucun de ses rivaux ? Ceci revient à se demander sous quelle inspiration a été fait l’édit de Milan, qui sont ceux, dans l’entourage du prince, qui ont pu le conseiller et dont il représente les sentimens véritables. La question, comme on va le voir, n’est pas aisée à résoudre.

Nous devons nous figurer qu’à ce moment, deux partis se disputent avec acharnement le prince : les chrétiens, qui viennent de le conquérir, et les païens, qui veulent le reprendre. Il ne me semble pas qu’on puisse attribuer aux païens, au moins s’ils sont fidèles à leurs traditions et à leurs principes, la pensée de donner à tous les cultes une égale liberté, et par suite une même importance. Je n’ai pas besoin de rappeler ici les raisons qui les rendaient de tout temps contraires à cette mesure. Tout le monde sait que, dans les républiques anciennes, la religion n’était qu’une des formes, la plus visible peut-être, de la nationalité. Chaque cité avait ses dieux, comme elle avait ses lois, auxquels on ne pouvait renoncer sans cesser aussitôt d’être un citoyen. Il n’était donc pas possible, dans un état bien réglé, d’admettre les religions étrangères. Aussi voyons-nous que les législations de tous les peuples les proscrivent sévèrement. En réalité et dans la pratique on les souffre, parce qu’il n’est pas possible de les supprimer, mais jamais on ne leur reconnaît officiellement le droit d’exister, et même de temps en temps on les frappe, quand on croit qu’elles peuvent nuire à la sécurité publique. Tant qu’a duré le régime des religions locales, il ne s’est pas trouvé un chef d’état qui ait imaginé qu’on pût écrire dans la loi que les citoyens étaient libres de pratiquer la religion qu’ils voulaient. Sur ce point, les philosophes, malgré l’indépendance d’esprit dont ils se parent, sont de l’avis des politiques. Platon, dans sa république idéale, ne veut pas souffrir les impies, c’est-à-dire ceux qui ne croient pas à la religion de l’état ; même quand ils sont doux et paisibles, et ne font pas de propagande, ils lui paraissent dangereux par le mauvais exemple qu’ils donnent. Il les condamne à être enfermés dans la maison où l’on devient sage (sophronistère), — cet euphémisme agréable désigne la prison, — et veut qu’on les y laisse cinq ans, pendant lesquels ils doivent entendre un sermon tous les jours. Quant à ceux qui sont violens et cherchent à entraîner les autres, on les tient, pendant toute leur vie, dans des