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chrétiens, il ne sût pas bien ce qu’il faisait, et qu’il ne le distinguât pas très clairement d’Apollon et des autres dieux de l’Olympe, depuis un an il avait eu le temps de se renseigner. Nous pouvons être sûrs que les chrétiens n’avaient rien négligé, pendant cette année, pour s’affermir dans leur conquête et achever leur victoire. Nous avons les lettres que Constantin écrivit alors au gouverneur de l’Afrique ; elles nous montrent qu’il était très au courant des affaires de l’église, ce qui prouve que les évêques avaient soin de l’entourer et de l’instruire, et qu’il s’informait volontiers auprès d’eux. Il est donc impossible de penser que, si ses croyances paraissent un peu confuses, et s’il lui arrive par momens de mêler le christianisme et le paganisme, ce soit uniquement par ignorance. Est-ce donc volontairement qu’il l’a fait, et faut-il supposer qu’il a flotté quelque temps entre les deux religions ? Je ne le pense pas davantage. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que l’édit de Milan, pris dans son ensemble, est fait par un chrétien et dans l’intérêt des chrétiens. Si celui qui l’a promulgué appartenait à ces éclectiques qui ne faisaient pas de distinction entre les cultes, il s’y préoccuperait de tous également, et ils seraient tous mis sur la même ligne, ce qui n’est pas. On voit bien qu’en réalité il ne songe qu’aux chrétiens ; ils sont les seuls qui soient expressément nommés, et même, dans un passage fort curieux, il est dit, en propres termes, que la tolérance qu’obtiennent les autres religions n’est qu’une conséquence de celle qu’on veut accorder au christianisme.

Mais alors d’où peuvent venir les phrases qui ne paraissent pas conformes à la doctrine de l’église ? Je ne vois qu’un moyen de les expliquer : il est probable qu’elles sont l’œuvre de ceux qui rédigèrent l’édit par l’ordre du prince. La chancellerie impériale est longtemps restée païenne. Elle se recrutait d’ordinaire parmi les jeunes gens qui avaient fréquenté les grandes écoles, et nous voyons un rhéteur d’Autun se féliciter du grand nombre de ses élèves qui occupent des places importantes dans le cabinet du prince ; or, on sait que les écoles ont été l’un des derniers asiles de la vieille religion. C’est ainsi que se sont conservées, dans les constitutions des princes chrétiens, tant de façons de parler qui rappellent le temps où l’empereur, vivant ou mort, était adoré comme un dieu. Il y est question partout de « sa maison divine » ou de « sa chambre sacrée : » ses décisions y sont appelées « des oracles ; » et, pour faire entendre que ses sujets ont le droit d’en appeler à son jugement, on dit qu’ils peuvent s’adresser « à ses autels. » Les formules, qui, dans l’édit de Milan, rappellent le paganisme, ont sans doute la même origine.

Quoiqu’elles nous surprennent un peu, elles ont au moins cet