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certitude et les accablantes démonstrations de la méthode expérimentale, ne faisait que développer l’argument fondamental du positivisme.

Il ne faut pas oublier qu’au temps de Descartes, l’opposition que nous venons de signaler entre la philosophie et la science n’existait pas encore, sinon pour les mathématiques. Quant aux sciences de la nature, elles étaient encore livrées à la dispute, aussi bien que la philosophie même, avec laquelle elles étaient confondues. Elles commencèrent alors seulement à s’en séparer ; mais, depuis, la séparation a toujours été en s’agrandissant. La physique, l’astronomie, la chimie, la physiologie se sont l’une après l’autre constituées comme sciences positives. Les conceptions individuelles y ont peu à peu cédé la place aux vérités objectives. La science est impersonnelle : ce n’est pas le système de tel ou de tel savant. Sans doute, il y a encore des systèmes et des hypothèses dans les sciences ; mais c’est dans la partie de la science qui n’est pas faite et qui se fait que ces hypothèses se partagent les savans. Ce sont des stimulans à la recherche, destinés à disparaître ou à se transformer en lois positives, selon que l’expérience aura prononcé.

Qu’est-ce donc que le positivisme ? C’est la protestation de la science contre la philosophie, appelée la métaphysique ; c’est la substitution de la science à la philosophie ; c’est enfin la science elle-même se faisant philosophie. Pendant longtemps, la science n’avait travaillé que pour elle-même. Elle s’était fait un domaine à part en dehors de la philosophie, et avait laissé celle-ci à ses spéculations et à ses disputes. Mais il vint un moment où la science prit conscience de la puissance de ses conquêtes, de la sûreté de ses méthodes, de l’infaillibilité de ses résultats, et elle se demanda si elle n’était pas mûre pour prendre la place de la philosophie, pour devenir philosophie. Elle apporte un critérium qu’elle juge infaillible pour distinguer les questions insolubles de celles qui peuvent être résolues. Tout ce qui ne peut être soumis à la vérification expérimentale doit être écarté comme inutile et inaccessible. L’expérience et le calcul sont les seules méthodes de la science.

Ne croyons pas, cependant, que la philosophie positiviste ne soit que la collection des sciences dites positives : qu’être positiviste, ce soit être chimiste, physicien, mathématicien, et rien de plus. Non ; Auguste Comte proteste énergiquement contre cette interprétation. Sa philosophie est positive, sans doute, mais c’est une philosophie. En dehors de toutes les sciences spéciales et au-dessus d’elles, il y a lieu à une science plus haute et plus générale, et c’est ce qu’on appelle philosophie. Littré aussi se plaint très souvent de l’étroitesse d’esprit des savans, qui ne veulent admettre que leurs sciences proprement dites et que des vérités