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connaissance du passé, non pas à la manière de Machiavel ou même de Montesquieu, c’est-à-dire on prenant çà et là des exemples particuliers, ou même des faits généraux pour en tirer des préceptes ou des lois, mais à la manière de Turgot et de Condorcet, c’est-à-dire en suivant l’enchaînement des diverses périodes de civilisation. En un mot, la politique positive repose sur ce que l’on appelle la philosophie de l’histoire. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette thèse ; mais il est permis de faire remarquer en cette circonstance combien cette expression de politique « positive, » de philosophie « positive » contient ici de promesses exagérées et presque contradictoires. En effet, la philosophie de l’histoire, comparée à l’histoire proprement dite, ressemble beaucoup à ce que partout ailleurs Auguste Comte appellerait la métaphysique. N’étant pas lui-même historien, Auguste Comte n’est pas très difficile pour les généralités historiques, comme tous les philosophes lorsqu’il s’agit des généralités scientifiques. Il se croira donc placé au point de vue positif lorsqu’il exposera les vues vagues et conjecturales de Condorcet et de Saint-Simon. Mais demandez aux historiens de profession ce qu’ils pensent de la philosophie de l’histoire, ils répondront que c’est de la métaphysique. Même cette question du progrès qu’Auguste Comte tranche sans hésiter, elle est loin d’être définitivement résolue, au moins historiquement. Voyez, par exemple, en ce moment même, l’école critique et positive en histoire s’appliquer à restreindre de la manière la plus sévère, la plus exigeante (et j’ajoute la plus étroite), les avantages que l’on avait cru jusqu’ici, dans le monde libéral, avoir été les résultats de la révolution française. Ce n’est point à dire qu’il ne faille pas faire de philosophie d’histoire ou d’histoire généralisée. Nous sommes de l’avis d’Auguste Comte : la politique doit être éclairée par l’histoire. C’est aussi une idée profonde de dire qu’il faut aller du passé à l’avenir pour revenir au présent. Mais tout cela n’est pas positif dans le sens rigoureux du mot. Sans doute, il faut s’appuyer sur l’observation ; mais c’est ce que disent aussi les métaphysiciens. Ce n’est pas tout d’avoir les faits : l’essentiel est de les interpréter ; c’est ce qui n’est pas positif. Dans les Origines de la France contemporaine de M. Taine, il n’y a que des faits ; et cependant c’est une histoire aussi systématique que celle de Louis Blanc. C’est donc là en définitive de la philosophie et non du positivisme.

Disons encore qu’Auguste Comte a les idées les plus justes sur la méthode de la science sociale, lorsqu’il interdit à cette science la méthode mathématique. Peut-être va-t-il lui-même trop loin en ce sens lorsqu’il reproche à Condorcet d’avoir appliqué le calcul des probabilités à la politique ; car il y a des questions spéciales (par exemple,