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les assurances) où ce calcul est tout à fait à sa place et où la politique est devenue tout à fait une science positive. Il n’est pas moins certain que la statistique, par ses méthodes perfectionnées, est appelée à rendre de plus en plus de services à la politique, et à la transformer ainsi sur certains points en science positive. Mais, en général, croire que la méthode sociale peut être la méthode mathématique est une illusion qu’il est intéressant de voir combattue par un mathématicien. Ce n’est pas une vue moins juste que de séparer, comme le fait Auguste Comte, la politique, qu’il appellera plus tard sociologie, de la physiologie. On serait tenté de croire que la méthode positive consiste à ramener la science de l’homme à la science de l’animalité : c’est une grave erreur. La différence fondamentale, selon Auguste Comte, c’est que la physiologie ne concerne que l’individu, tandis que la sociologie a pour objet l’espèce et le développement de l’espèce. Sans doute, quand il s’agit des castors, on peut bien parler incidemment de leur société et de leurs huttes sans sortir de la zoologie, parce que c’est là une société des plus circonscrites ; mais si la société des castors arrivait à se développer et à passer par des phases différentes comme la société humaine, il faudrait alors en faire l’objet d’une science spéciale. C’est donc être tout à fait infidèle à la méthode d’Auguste Comte que de faire de la sociologie une branche de la physiologie ; autant dire qu’elle est une branche de la géologie, par cette raison que l’espèce humaine vit sur la terre, et que tout ce qui est sur la terre rentre dans l’histoire de la terre.

On voit comment, dans ce premier écrit, l’auteur se rattache à Saint-Simon et comment il s’en sépare. Il s’y rattache en ce qu’il reste exclusivement préoccupé du problème social ; il s’en sépare en ce qu’il croit que l’organisation sociale doit résulter de la science sociale, et que c’est la science qu’il faut faire avant de passer à l’organisation. Son originalité est d’introduire dans le problème politique les habitudes d’esprit du savant proprement dit, de montrer la part de l’observation, l’existence de lois sociales naturelles, les limites de l’action libre de l’homme, mais aussi la part de cette action, qui consiste dans la prévoyance et dans l’art de se conformer à la nature. Nous n’insisterons pas sur la portée de ces idées ; disons seulement qu’après être restées longtemps ignorées ou négligées, elles ont fini cependant par s’introduire dans la politique des partis. C’est à l’école d’Auguste Comte que les démocrates ont appris un certain nombre de règles pratiques qui leur étaient suspectes lorsqu’elles leur étaient présentées par les conservateurs : comme, par exemple, qu’il faut compter avec le temps, que rien ne se fait tout à coup, que les sociétés sont des corps organisés sur lesquels on