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qui servent à relier les faits, à en faire un système, à en faire chercher de nouveaux pour compléter ou contredire ce système ; et encore aujourd’hui ces hypothèses ne sont-elles pas souvent employées dans la science elle-même ? Enfin, un troisième rôle de la métaphysique, c’est la critique de la connaissance et des facultés humaines, critique absolument nécessaire en elle-même, ne fût-ce que pour dissoudre la métaphysique, si celle-ci devait être un jour abandonnée. Telles auraient pu être les raisons qui, même au point de vue positiviste, auraient pu être invoquées pour défendre le rôle de la métaphysique dans le passé. Il est vrai que, ces considérations elles-mêmes une fois admises, il ne serait peut-être pas impossible de conclure que non-seulement la métaphysique a eu un rôle autrefois, mais qu’elle peut encore en avoir un aujourd’hui et peut-être toujours. Il est douteux que les trois considérations précédentes perdent jamais leur valeur. On ne fera jamais une physiologie de la pensée sans étudier dans les faits la pensée elle-même. On ne se dispensera jamais des grandes hypothèses cosmologiques par lesquelles l’imagination soutient les recherches abstraites et ardues des savans. On ne pourra jamais enfin limiter le domaine du savoir sans étudier les conditions du savoir. Par conséquent, psychologie, cosmologie générale, critique de la connaissance, voilà des parties de la métaphysique qui ne seront jamais sacrifiées. Or ceux qui connaissent cette science savent que les problèmes y naissent les uns des autres, et s’entraînent à l’infini, sans qu’on puisse s’arrêter où l’on veut : passez-y le bout du doigt, il est pris tout entier. Il n’en faut pas moins louer Auguste Comte de l’impartialité à laquelle il s’est efforcé de s’élever contre les tendances naturelles de son esprit, quelque étroit que soit encore son point de vue.

Avec les articles du Producteur finit ce que, dans le développement de la philosophie de Comte, on peut appeler la période d’incubation. Jusque-là sa sphère d’action ne s’est pas beaucoup étendue au-delà de la famille saint-simonienne. Même dissident, c’était encore dans son sein qu’il faisait ses premières armes ; c’est à elle qu’il s’adresse. Dans l’Exposition de la doctrine saint-simonienne professée en 1829 à la rue Taranne, Bazard en parle encore comme d’un frère égaré. C’est seulement vers cette époque, immédiatement avant la révolution de 1830, qu’Auguste Comte a commencé, dans ses cours de l’Athénée, à édifier sa grande œuvre scientifique. Peut-être, si le temps nous le permet, le suivrons-nous jusque-là.


PAUL JANET.