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du nombre, du moins celle des armes et des moyens d’intimidation. Ce n’est que plus tardivement, plus lentement que s’exerce l’influence du missionnaire, catholique ou protestant, la seule qui ait encore produit des résultats et amené quelques-unes de ces peuplades à un état de civilisation déjà avancée. Et encore à quel prix ?

Pour quiconque a vécu en Océanie, il est pas douteux que les conquêtes, même les plus pacifiques, de la civilisation, ont été aussi meurtrières que les guerres les plus terribles. Prenez parmi ces races, je ne dirai pas les moins réfractaires à nos idées, mais les plus ardentes à se les assimiler, celles qui, loin de repousser les missionnaires, les accueillaient à bras ouverts et les appelaient. Etudiez l’histoire de quelques-uns de ces archipels, des Sandwich, de Tahiti, vous y verrez que, comparativement simples au début, leurs rites religieux n’offraient plus alors qu’un mélange confus de pratiques bizarres et cruelles dont la signification primitive se perdait dans la nuit du passé. Des dieux tyranniques et capricieux gouvernaient sans merci une population sans règle morale. Des restrictions imposées par les chefs et les prêtres, au gré de leur caprice, formaient un ensemble religieux qui ne reposait plus que sur l’aveugle superstition du peuple et le despotisme non moins aveugle de ceux qui le gouvernaient. Ils croyaient à une autre vie, si c’est y croire que de redouter un pouvoir toujours malfaisant attribué aux morts.

On retrouvait dans leurs traditions des notions vagues d’une création du monde, d’un déluge, mais ils n’avaient ni la croyance simple et nette des Indiens de l’Amérique à l’existence d’un grand esprit, maître souverain des cieux et de la terre, ni l’idée païenne d’un dieu maître des dieux, trônant comme le Jupiter antique dans l’Olympe soumis à ses lois. Aucune idée philosophique ne se dégageait du chaos informe de leurs superstitions.

Chacune de leurs terreurs enfantait un dieu. Pour les apaiser, il fallait des offrandes, offrandes aux prêtres, aux volcans mêmes, dans lesquels on précipitait des victimes humaines désignées par le sacrificateur. La terre, les mers se peuplaient de dieux cruels.

Aussi le paganisme s’écroulait-il de toutes parts ; son temps était passé. L’abus atroce provoquait la réaction violente. Les premiers missionnaires trouvaient la voie préparée. Accueillis avec enthousiasme par une population lasse des excès d’une théocratie sans règle morale et d’un despotisme sans frein, ils n’eurent qu’à paraître pour vaincre.

Jamais conquête à la civilisation ne fut plus pacifique et plus rapide que dans ces archipels. Et pourtant c’est par centaines de mille que se comptent les victimes. En moins de deux années, les