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Océanie elle supprime les races indigènes et, sur le sol vacant, s’implante, jusqu’au jour où, ainsi qu’on l’a vu aux États-Unis, la colonie se sépare de la métropole et devient sa rivale et son ennemie. Il en sera de même au Canada et en Australie. La conquête brutale, la destruction systématique ne sont pas la colonisation. L’Angleterre n’a pas gardé un siècle sa magnifique colonie des États-Unis ; l’Espagne a perdu toute l’Amérique’ méridionale, soulevée par un vent de tempête et de colère. Ses procédés furent les mêmes ; mêmes aussi les conséquences. Sont-ce des races colonisatrices, celles qui sèment ainsi les haines et les révoltes, et sur le sol occupé par elles, colonisé par elles, ne laissent qu’ennemis implacables, que rancunes séculaires ?

Dans laquelle de ses anciennes colonies le nom de la France éveille-t-il ces rancunes et ces inimitiés ? Ce nom fait encore aujourd’hui battre le cœur des Canadiens fidèles et des Indiens reconnaissans. Si la fortune des armes et l’imprévoyance de nos gouvernans nous ont coûté quelques-unes de nos plus belles possessions, du moins la langue, les usages et le souvenir de la mère patrie y sont vivaces encore, entourés d’un culte respectueux. Nous n’y avons ni opprimé les faibles, ni dépossédé les légitimes propriétaires du sol ; nous avons respecté leurs droits, leurs traditions, leur langue et leur culte, et nous avons laissé sur le sol occupé par nous et dans l’âme des descendant de ceux qui ont vécu sous nos lois des traces que la conquête étrangère n’a pu effacer.

A l’autre extrémité du monde, en Océanie, nous retrouverons les mêmes erremens et les mêmes traditions. A côté de l’Australie, où les indigènes, décimés, au début par les balles anglaises, achèvent de disparaître et traitaient dans les solitudes de l’intérieur une existence misérable et précaire, nous verrons la France à l’œuvre, comme nous l’avons vue à Tahiti[1], conquérant pacifiquement les Nouvelles-Hébrides, rayonnant autour de ses possessions, actuelles, appelée, désirée par ces peuplades primitives. Nous la verrons, aux îles Sandwich, respectueuse des droits d’indigènes civilisés, défenseur de leur autonomie, partout et toujours fidèle à sa mission de protectrice des faibles. En elle s’incarne un génie humain, intelligent et bon, sachant aimer et se faire aimer. A travers ses écarts d’imagination, ses erreurs et ses fautes, ses élans et ses défaillances, la France croit à l’humanité ; ce fut sa force dans le passé, ce sera sa grandeur dans l’histoire.


C. DE VARIGNY.

  1. Voyer la Revue du 15 mars 1881.