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le monde disposait. Ce n’est pas rigoureusement exact : dans les pays qui reçoivent l’argent sans le produire, on le prend au jour le jour pour ce qu’il vaut ; le capital ne consiste pas en lingots : s’il y a perte de capital, c’est pour les pays où les mines sont exploitées, mais il n’y a pas pour cela diminution de leur puissance d’achat. Ils tirent plus de métal de la terre ; pour une marchandise qui valait 100 pesées d’argent, ils en donnent actuellement 130. La somme des achats de marchandises par les pays producteurs d’argent n’a pas diminué, c’est le contraire. Les tableaux de douane des pays sud-américains nous apprennent que depuis dix ans leurs importations, c’est-à-dire la somme des achats faits pour la plus grande partie en Europe, a suivi une progression étonnante. Par exemple, le Chili passe de 175 millions de francs en 1876, à 195 millions en 1884 ; L’Uruguay, dans la même période, passe de 64 à 105 millions ; la république argentine, de 180 à 470 millions !

L’argument le plus spécieux qui ait été produit contre l’adoption de l’étalon unique est celui qui se rapporte au commerce des blés indiens. On a trouvé d’innombrables alliés parmi ceux qui vivent de l’industrie agricole en leur disant qu’avec des lingots ou des lettres de change obtenus à vil prix en Angleterre, on peut acheter sur les marchés asiatiques et amener en Europe des blés en quantité écrasante, à des conditions désastreuses pour nos pays. Il y a beaucoup d’exagération dans ces plaintes. Il est certain que des négocians vigilans et habiles, saisissant l’occasion que leur présentait l’écart entre les deux métaux précieux, ont ainsi réalisé de gros bénéfices ; mais c’est là un fait accidentel qui ne peut se perpétuer et qui sera corrigé inévitablement par la nature des choses. L’empire indien, devenu le réceptacle de l’argent du monde entier, parait en être saturé ; il en a absorbé beaucoup moins depuis deux ans : la surabondance d’un métal déprécié réagira en hausse sur les prix commerciaux et sur les salaires. Le gouvernement anglais sera conduit certainement à modifier le système monétaire qu’il a infligé à ses sujets asiatiques. Ces changemens laisseront moins de prise aux spéculations basées sur le change et la valeur des monnaies. Au surplus, il n’y a pas d’illusion à se faire au sujet de la production et du commerce des blés. Les paiemens métalliques n’y jouent qu’un rôle très secondaire ; la conquête et le peuplement des territoires lointains, négligés jusqu’ici, en propagent incessamment la culture. Ce ne sont plus seulement les marchés d’Odessa, de New-York ou de Bombay qui nous menacent ; les blés arrivent aujourd’hui, et en grandes quantités, de la Californie, de l’Australie, de l’Amérique du Sud. On annonce que des espaces considérables, mis à découvert au Canada par l’ouverture du grand chemin de fer, sont déjà ensemencés. La surabondance des récoltes,