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saines sur la nature et le rôle des monnaies, fissent comprendre au public que ce qu’on appelle à tort la démonétisation de l’argent est une mesure commandée par une impérieuse nécessité, et qu’il n’y a pas lieu de s’en trop effrayer.

Ce qui vient d’être dit est, à plus forte raison, applicable aux pays de l’Union latine. Leur situation, au regard des ressources monétaires, est peut-être plus embarrassée, plus inquiétante que la nôtre. Il ne sera pas bien difficile, je le suppose, de démontrer à nos associés que la rupture du pacte de 1865 est inévitable, je pourrais dire imminente. La convention, prolongée jusqu’au 1er janvier 1891, doit être dénoncée avant le 31 décembre 1889 ; son existence assurée est donc réduite à deux ans et demi, et, d’ici là, combien de difficultés vont surgir ? Déjà le taux des escomptes dans les banques n’est plus déterminé que par la quantité d’or qui se trouve dans leurs encaisses. L’argent, comme le poids mort dans les véhicules, a cessé d’être un entraîneur d’affaires. On approche de la période où le renouvellement du privilège de la Banque de France sera mis à l’ordre du jour. Est-ce qu’il serait possible de le prolonger en conservant un mécanisme monétaire qui n’est pas d’aplomb ? L’envahissement excessif de notre circulation par les pièces étrangères, que le public français a le droit de refuser, la nécessité de se mettre en garde contre la contrefaçon, la crainte d’un cataclysme monétaire déchaîné par le retrait du Bland-bill, voilà bien des sujets d’inquiétude.

Si les hommes expérimentés qui ont représenté la Belgique et l’Italie dans les conférences prennent la peine d’approfondir leur propre situation en même temps que la nôtre, ils sentiront qu’il n’est plus possible de prolonger l’Union latine au-delà du 1er janvier 1891, et qu’alors il vaudrait mieux, pour eux comme pour nous devancer cette échéance et procéder le plus tôt possible à une liquidation dans laquelle on trouvera la France, comme toujours, loyale et conciliante. A coup sûr, ce règlement de compte, sans exemple en finance, et l’évolution monétaire qui en sera la suite, ne seront pas effectués sans sacrifices de part et d’autre. Quand on a eu le malheur de s’être jeté dans un guêpier, il faut s’en tirer le mieux possible sans compter les piqûres. C’est aux pouvoirs gouvernementaux et parlementaires des trois pays principaux qu’il appartient d’aviser et de prévenir une crise qui, si elle éclatait à 1 improviste, ferait rejaillir sur eux de lourdes responsabilités.


ANDRÉ COCHUT.