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par l’interpellation radicale contre laquelle M. Spuller a cru se prémunir, sans s’apercevoir qu’il tombait dans un piège. Ce n’est point, sans doute, une affaire bien grave ; elle prouve seulement que M. le ministre des cultes, que le gouvernement tout entier n’a rien à gagner à trop vouloir désarmer ou rassurer les radicaux, qui ont tout le succès qu’ils désirent en lui créant des difficultés, en l’entraînant à quelque faux pas.

Au fond, ce qu’il y aurait de mieux à faire pour le ministère, ce serait de ne pas se laisser imposer l’onéreuse solidarité de passions qu’il désavoue ou de mesures qu’il subit, de ne s’inspirer que de lui-même, de la situation que lui créent les circonstances, et s’il eût agi ainsi, il se serait probablement épargné les embarras de cet essai de mobilisation militaire qui va s’accomplir ; il eût hardiment décliné le legs d’ostentation et de fausse popularité qu’il a reçu du dernier ministre de la guerre. Ce n’est point assurément qu’il n’y ait l’intérêt le plus sérieux à mettre pratiquement en jeu les ressorts compliqués de notre organisation militaire, à vérifier sur le terrain, par l’exécution, la sûreté et l’efficacité de ce puissant instrument que les chefs de notre armée ont entre leurs mains, qu’ils n’ont pu cependant éprouver jusqu’ici. Malheureusement, l’opération qui se prépare, faute de pouvoir se réaliser dans les conditions où elle devrait être faite, ne peut être que coûteuse, limitée, incomplète et peu décisive. Elle sera d’autant plus coûteuse que tout est imprévu, et le résultat ne peut guère être en proportion de ce qu’on aura dépensé, des 8 ou 10 millions qu’on prévoit, qui ne seraient pas de trop dans un budget en déficit, il est bien évident, en effet, que ce qu’on va faire ressemblera inévitablement à une série d’exercices plus qu’à une véritable opération de guerre, à un simulacre de mobilisation plus qu’à une mobilisation réelle, qu’il n’y a aucune analogie entre le transport d’un corps d’armée à quelques kilomètres au centre ou à l’ouest de la France et la mise en marche d’une armée entière dirigée sur la frontière. Les conditions sont différentes et pour les transports, et pour les réquisitions de chevaux, et pour l’appel des hommes, de sorte que ce qui se prépare peut fort bien ne rien prouver. Cette expérience d’une mobilisation un peu artificielle risque d’être inutile ou peut-être trompeuse, et, dans tous les cas, d’avoir un dangereux effet moral. Si elle réussit, elle peut éveiller des illusions ; si elle échoue, si elle laisse à désirer, elle peut ébranler ou affaiblir sans raison la confiance dans notre organisation militaire. C’est l’inconvénient de ces opérations préparées avec apparat pour le public, substituées au travail pratique, silencieux, patient, accompli à toutes les heures dans notre armée, qu’on trouvera sûrement toujours prête au moment du danger.

Quelle est donc la grande raison qu’on a eue pour maintenir jusqu’au bout cette proposition de l’essai de mobilisation ? Il n’y en a