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qu’une, qu’on a laissé suffisamment entrevoir, que M. le maréchal Canrobert, avec sa franchise de vieux soldat, n’a pas cachée. C’est que « l’affaire était lancée, — » on était engagé ! Où a craint, si on s’arrêtait, de provoquer de fausses interprétations, d’offrir aux journaux révolutionnaires une occasion nouvelle de répéter que M. le général Boulanger avait seul de l’activité, de la hardiesse. On était engagé, c’est toujours le mot, — on craint de se compromettre. S’il s’agit d’un évêque, on se hâte d’écrire une lettre pour se mettre en règle avec les radicaux. S’il s’agit de la mobilisation, on subit le legs de M. le général Boulanger, on tolère même l’indiscipline vivante au siège du commandement du 13e corps d’armée. La politique du ministère devrait être justement de se dégager de toutes ces compromissions, d’accepter résolument la situation qui lui est faite, et sa faiblesse est de ne pas oser toujours conformer ses actions à ce qu’il parait penser.

Oui, sans doute, il y a aujourd’hui dans le ministère, dans une partie notable du monde républicain, ce sentiment qu’il faut en finir avec les solidarités compromettantes et savoir accepter les conditions d’un régime régulier, qu’on est entré dans une situation nouvelle. M. le président du conseil a le premier donné le signal en désavouant dans ses discours, devant la chambre elle-même, la politique de combat, toute pensée de violence et de persécution. Le ministre de l’instruction publique, M. Spuller, dans les discours qu’il est allé prononcer à Lyon, à Rouen, à l’inauguration de la statue d’Armand Carrel, — pour se distraire sans doute de ses démêlés avec M. l’évêque de Grenoble, — n’a fait que confirmer le langage de M. le président du conseil ; il a hautement avoué l’ambition, de former non plus un gouvernement de parti, mais un gouvernement national. Ce n’est pas tout. Un homme qui n’est pas ministre, mais qui reste un des chefs du parti républicain, M. Jules Ferry vient à son tour d’aller plus loin, d’accentuer plus vivement encore la politique nouvelle dans un discours qu’il a prononcé à Épinal. M. Jules Ferry, quant à lui, n’a point hésité à se dégager de toutes les fictions, à aller droit à l’ennemi, au radicalisme, sans plus s’occuper même de ce qu’on appelle la concentration républicaine. A ceux qui ont livré son nom aux vociférations des rues, il rend guerre pour guerre, et, pour tous, il parle en conservateur. Que dit-on depuis longtemps aux ministres qui se succèdent, à M. Jules Ferry lui-même ? On ne cesse de leur rappeler, de leur répéter ce qu’ils disent aujourd’hui éux-mêmes.et puisqu’ils vont rendre hommage à Armand Carrel, il y a une chose qu’ils ne peuvent oublier : c’est que l’Intrépide journaliste républicain avait la haine des bassesses et des violences de la démagogie, en même temps que le sentiment profond de la liberté pour tous, qu’il n’admettait pas la république sans un gouvernement digne de ce nom. Tout ce qu’on demande aux ministres d’aujourd’hui, c’est d’être logiques, de comprendre la portée des