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façon en quelque sorte empirique, selon des nécessités qui s’imposaient, après des révolutions naturellement accompagnées de chômage, après des épidémies, — choléra de 1832, — qui avaient aveuglément frappé et fait tant d’orphelins. En hâte on subvenait à ces obligations nouvelles, on ne se récusait pas, tant s’en faut, mais on courait au plus pressé, on agissait sans vues d’ensemble, et on ne s’était pas encore constitué de manière à pouvoir parer aux éventualités douloureuses qui sans cesse menacent les tribus de la famille humaine. Ce ne fut guère que dans les années qui précédèrent et suivirent la révolution du 24 février 1848 que la charité israélite se concentra dans une institution spéciale. En 1852, le a comité consistorial de secours et d’encouragement » devint le « comité de bienfaisance, » et procéda méthodiquement à la création des établissemens où toutes les manifestations de la souffrance et de la faiblesse peuvent être soulagées. D’une part, l’organisation primitive, qui suffisait à la population juive parisienne de 1809 (3,000), restait impuissante en présence de celle de 1850 (environ 20,000) ; d’autre part, certaines fortunes accrues dans des proportions considérables devaient faire naître une protection plus puissante ; néanmoins, il est possible que l’on eût continué à tâtonner et que l’on fût demeuré dans les étroites limites du début, si un homme de bien et d’intelligence, inébranlable en sa croyance et doué d’une prodigieuse activité, n’eût donné une impulsion déterminée à la charité juive ; il ne suscita pas les bonnes volontés, mais il les disciplina, les régularisa, leur apprit à ne point s’égarer et leur indiqua un but.

Issu d’une famille établie en Alsace, né le 14 septembre 1814, à Presbourg, par le hasard des migrations, il s’appelait Albert Kohn. Obéissant aux lois de l’atavisme on préoccupé de l’avenir de ses coreligionnaires, si durement traités dans les pays musulmans, il étudia de bonne heure les langues orientales et bientôt y devint maître. A Vienne, où il vivait alors, les israélites relevaient d’une section spéciale de la police que l’on appelait « le bureau des juifs ; » cent vingt-quatre familles avaient seules le droit de domicile, nul autre juif ne pouvait résider, même temporairement, dans la ville sans acquitter un droit de séjour onéreux ; toute carrière libérale, sauf celle de la médecine, leur était interdite. Ce fut donc à sa religion qu’Albert Kohn dut de ne pouvoir suivre les cours de l’académie orientale de Vienne. De telles exclusions datent à peine de cinquante ans, et c’est à peine, — heureusement, — si nous pouvons les comprendre aujourd’hui. Albert Kohn en était réduit à aller dans la bibliothèque publique apprendre, à coups de dictionnaires, l’arabe, le sanscrit, le syriaque et le persan. Ce fut le baron de Hammer, que son Histoire de l’empire ottoman a rendu célèbre, qui, après