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promptement des titres à l’avancement. Ce fut la besogne qui manqua le plus. Contrairement aux usages de la bureaucratie, ils étaient jusqu’à trois employés dans la même pièce, mais ils ne se gênaient guère. Le premier travaillait à un vaudeville, le second faisait des copies pour un bureau d’autographies. Notre licencié se mit à préparer son doctorat ; mais, au bout de quelque temps, il dut interrompre ses études. « Voici deux semaines, confessait-il à un ami, que le bureau n’a pas en même une simple expédition à faire ; notre sous-chef désœuvré vient, tous les après-midi, dans notre cabinet et nous demande de faire un whist. Quel moyen de le refuser : il ne nous proposerait pas pour les gratifications du jour de l’an. » La gratification vint ; elle fut même libérale : peut-être un schlem triomphant, qui ravit d’aise le sous-chef, n’y fut-il pas étranger. L’histoire est d’hier ; elle prouve avec quel soin les bonnes traditions sont conservées.

Au ministère de la justice, à trois heures et demie, les dossiers sont remis dans les cartons, les pupitres fermés, les chapeaux brossés et les pardessus endossés ; dès que quatre heures sonnent à l’horloge, l’émigration commence : elle est terminée avant que le quatrième coup ait retenti, et il de demeure, dans le ministère désert, que les employés du cabinet. On trouve, à la chancellerie comme ailleurs, le moyen d’allier au travail officiel les occupations les plus inattendues. On a vu un des chefs de bureau les plus intelligens cumuler avec ses fonctions l’exploitation d’un important magasin d’épiceries ; le matin, il allait faire ses commandes à ses fournisseurs, passait au ministère pour répartir entre ses employés les dossiers envoyés par le chef du cabinet ou le secrétaire-général, repartait pour faire une tournée chez ses cliens et toucher ses factures, et revenait avant la fermeture des bureaux pour s’assurer que ses instructions avaient été exactement suivies.

M. Émile Perrin expliquait, un soir, à quelques amis, le prodigieux travail qu’impose la mise en scène d’un nouvel opéra. Il signalait, comme une des principales difficultés à surmonter, la nécessité de décomposer la partition en une multitude de copies, afin de remettre exactement à chaque artiste du chant ou de l’orchestre la partie qu’il doit exécuter. Comme on le complimentait, à ce propos, sur la rapidité avec laquelle il venait de monter un grand opéra : « Je n’en serais jamais venu à bout, dit-il, sans le ministère des finances. » Stupeur de l’assistance. « Oui, reprit-il ; il y a, à la direction générale de l’enregistrement, un certain nombre d’employés qui ont de magnifiques écritures et qui transcrivent la musique avec une netteté et une célérité tout à fait remarquables. Ils sont ma ressource quand je suis pressé par le temps. »