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restituant certaines garanties. La loi de 1853 sur les retraites avait déjà porté atteinte à leurs intérêts, et elle est ouvertement violée à leur détriment. Sous le gouvernement de juillet, la mise à la retraite d’office était considérée comme une pénalité ; aucune limite d’âge ne l’imposait aux fonctionnaires civils, qui se retiraient volontairement quand ils éprouvaient le désir ou le besoin du repos. Les membres du corps enseignant, après quarante années de service actif, avaient droit à une retraite égale à leur traitement ; on leur a enlevé cet avantage : la prolongation de leurs services n’ajoute plus rien au chiffre de leur retraite. M. Marie, membre du gouvernement provisoire et ministre des travaux publics en 1848, mit d’un seul coup à la retraite une trentaine d’inspecteurs-généraux et d’ingénieurs en chef des ponts et chaussées, en se fondant sur ce qu’ils avaient plus de trente ans de services. Cela ne s’était jamais vu, et cette décapitation en masse d’un corps savant causa un grand émoi ; elle fut le sujet d’un débat au sein de l’assemblée nationale. Les choses ont fort empiré depuis lors. L’esprit de la loi de 1853 est qu’un fonctionnaire doit avoir tout à la fois soixante ans d’âge et trente années de services pour avoir le droit de demander sa mise à la retraite ; on interprète la loi comme si la réunion de ces deux conditions permettait de le contraindre à se retirer. Cependant, sous l’empire, la carrière administrative des employés des finances, de qui l’on n’a pas besoin d’exiger un grand déploiement de force physique, se prolongeait jusqu’à soixante-cinq ans, et même, pour les fonctionnaires d’un rang élevé, jusqu’à soixante-dix ans. Actuellement, les ingénieurs en chef des ponts et chaussées sont mis obligatoirement à la retraite à cinquante-cinq ans, c’est-à-dire dans la plénitude de l’expérience et du talent, avant que leurs forces aient disparu et bien que leur apprentissage professionnel ait quelquefois coûté un demi-million à l’état sous la forme de ponts tombés à l’eau, d’écluses emportées, de murs écroulés, et il faut faire sur nouveaux frais l’éducation de leurs, jeunes successeurs. Toutes les autres administrations tendent visiblement à avancer l’âge de la retraite, et elles parviennent à tourner la loi par le moyen des retraites proportionnelles dont nous avons exposé ici-même[1] le mécanisme.

Cette tendance est fâcheuse à tous les points de vue. Elle frappe d’une façon cruelle, dans ses intérêts domestiques, le malheureux fonctionnaire, qui perd soudainement la moitié et souvent plus de ses moyens d’existence, et qui échange une aisance relative contre la gens à un moment de la vie où aucune carrière nouvelle ne peut

  1. Voyez la Revue du 1er octobre 1886.