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pratiques abandonnées ou modifiées par les confessions d’Occident lui donne, vis-à-vis d’elles, un air archaïque et vieilli. Ce ritualisme a valu à l’église grecque l’attaque simultanée des deux camps opposés. Catholiques et protestans, qui, d’ordinaire, lui font des reproches contraires, l’ont également accusée d’étouffer la religion sous les pratiques extérieures. La principale cause de ce formalisme byzantin, transmis à l’église russe par sa mère du Bosphore, c’est d’abord l’esprit oriental ; c’est ensuite l’histoire, la longue ignorance, l’état de civilisation de la plupart des nations orthodoxes ; c’est enfin, chez les Russes, le caractère réaliste du peuple, son attachement inné aux rites et aux cérémonies, si bien que les corrections liturgiques les mieux justifiées ont été, pour lui, le point de départ d’un schisme obstiné.

Le respect du rite, de l’obriad, comme disent les Russes, est tellement naturel à ce peuple, qu’il se retrouve partout chez lui, dans la vie domestique presque autant que dans la vie religieuse. Sous ce rapport, il n’est pas sans ressemblance avec son lointain voisin, le Chinois. Pour tous les actes de la vie humaine, le paysan a des formes et des formules qu’il conserve religieusement. A côté des fêtes ou des cérémonies de l’église, il a, pour la naissance, pour le mariage, pour la mort, des cérémonies traditionnelles, souvent compliquées de véritables rites civils, qu’il observe avec presque autant de ponctualité que les rites prescrits par l’église. C’est ainsi que, pour le mariage, les fêtes domestiques du moujik constituent un véritable poème en action, une sorte de drame à plusieurs personnages, avec chants et chœurs à l’antique, joué depuis des siècles de génération en génération.

On sent ce qu’un pareil esprit a pu produire en religion. Le Russe a, en quelque sorte, renchéri sur le formalisme byzantin. Il ne s’est pas contenté d’être fidèle à tous les rites de l’église ; il en a mis là même où l’église ne lui en imposait point. Ainsi de la prière elle-même. Pour lui, la prière, l’entretien de l’âme avec son Rédempteur, est une sorte de rite ; elle a des formes consacrées, formes toutes nationales, car elles sont en grande partie étrangères aux Grecs.

L’orthodoxe, le Russe surtout, prie d’habitude debout, conformément aux usages de l’église primitive ; mais, durant sa prière, le Russe ne reste pas en repos. Le corps y semble prendre autant de part que l’esprit : le moujik prie avec tous ses membres. Pendant les offices, il passe son temps à se signer de grands signes de croix, levant à la fois la tête et la main droite, puis se courbant en deux entre chaque signe de croix, et se redressant aussitôt pour recommencer sans fin. Les plus pieux s’agenouillent et se prosternent à intervalles réguliers, se relevant vivement pour se prosterner de nouveau, comme s’ils étaient contraints à cette sorte de pénitence.