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loin des regards de la foule, derrière le mur de l’iconostase, la liturgie est une véritable représentation sacrée dont la mise en scène et l’exécution sont précieusement soignées. Les prêtres et diacres sont avant tout les acteurs du drame mystique ; ils ont conscience de la solennité de leur rôle et le jouent avec la dignité de maîtres des divines cérémonies.

Ces cérémonies, l’église ne permet pas de les écourter, de les tronquer. Rien, chez les Orientaux, des conventions ou des fictions qui, chez les Latins, ont souvent simplifié les offices. Rien, par exemple, d’analogue à notre messe basse, où le prêtre dialogue seul avec un enfant, qui lui répond au nom d’une assemblée absente. Toutes ces fictions, toutes ces abréviations des rites, sont contraires à l’esprit de l’église d’Orient ; elles lui semblent une altération, une mutilation des saints mystères. Les offices sont toujours publics, destinés au peuple chrétien. Le prêtre ne les célèbre que pour les fidèles ; aussi n’officie-t-il d’habitude que les jours de fête. Il n’a pas plus l’idée de dire tout seul, tout bus, une messe sans auditeurs, que de prononcer à voix basse un sermon dans une église vide. A la liturgie il faut, pour lui, la solennité des cérémonies publiques.

Si elle n’a rien élagué des rites que lui a transmis l’antiquité, gardant toutes les anciennes cérémonies et toutes les anciennes observances, sans correction ni retranchement, en revanche, l’église orientale ne leur a d’ordinaire rien ajouté. Elle n’a pas éprouvé le besoin de rajeunissement qui renouvelle sans cesse la piété catholique. Dans ses offices et ses prières, comme dans ses pratiques, elle demeure fermée à toutes les innovations. Aussi, les dévotions les plus populaires des pays catholiques, le sacré-cœur, par exemple, lui sont-elles étrangères. En ce sens, l’on pourrait dire que, si la liturgie n’y a pas été simplifiée, le culte y est demeuré plus simple.

Cet antique rite gréco-slave impose par les dehors, alors même que le sens symbolique en échappe. A Rome, où, pour l’Epiphanie, l’on se plaisait à célébrer la messe dans tous les rites admis par le Vatican, j’ai plus d’une fois entendu remarquer que le plus noble, dans son austère beauté, était le rite ruthène, lequel n’est en somme que le rite gréco-slave, conservé presque intégralement par les Grecs-Unis de l’ancienne Pologne. Si les Russes et les Grecs ont, en réalité, le même rite en deux langues différentes, la forme slave est sans comparaison supérieure, les Russes n’ayant pas adopté le chant nasillard des Grecs ou des Arméniens.

Voltaire disait que la messe était l’opéra des pauvres. Cela est non moine vrai de la Russie que de l’Occident, bien que d’une manière différente ; car jamais, en Orient, l’église n’a pris modèle sur l’opéra, ni le sacré fait d’emprunt au profane. S’il est vrai que le rôle de la religion, aux époques incultes surtout, ne doit pas se borner