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des élémens du sacrifice de la table de l’offertoire à l’autel, la marche du diacre portant sur son front l’évangile ou le calice, la clôture et la réouverture des portes saintes forment autant de scènes du drame liturgique et lui donnent plus de mouvement et de vie que dans le rite latin. Tout ce lent cérémonial est en harmonie avec le luxe sévère des vieilles églises byzantines, avec l’or mat des peintures ou des mosaïques. Le caractère d’antiquité, qui rehausse la solennité des rites, se retrouve jusque dans le mobilier liturgique. On y reconnaît les flabella, les éventails de métal que le diacre agite autour du tabernacle, et la cuillère d’or pour le vin de la communion, et la lance et l’éponge, qui rappellent le Calvaire, et d’autres instrumens sacrés, depuis longtemps disparus de l’Occident.

En dépit, ou mieux, en raison de leur antiquité, les longues cérémonies gréco-russes sont d’un symbolisme à la fois naïf et touchant. Ainsi, par exemple, du mariage : en aucune église, la consécration nuptiale, que des esprits terre à terre voudraient dépouiller de tout caractère mystique, n’est entourée de plus poétiques allégories. Au mariage religieux, vulgairement appelé couronnement (ventchanié), les deux fiancés, que le peuple dans ses chants décore pour un jour du titre de prince et princesse, voient porter sur leur tête une couronne. Après l’échange des anneaux et le baiser des fiançailles, donné en face du tabernacle sur l’invitation du prêtre, l’église, pour leur rappeler qu’ils vont tout mettre en commun, présente aux lèvres des nouveaux époux une coupe où ils boivent trois fois tour à tour ; puis, leur ayant lié les mains ensemble, l’officiant leur fait faire, à sa suite, trois fois le tour de l’autel, en signe qu’ils doivent marcher dans la vie en étroite union. Au baiser des fiançailles correspond, lors des funérailles, le suprême et troublant adieu du dernier baiser. Après l’avoir eux-mêmes porté sur leurs épaules dans l’église, les parens et les amis du mort lui viennent baiser le visage dans sa bière ouverte. De toutes les cérémonies ou les fêtes russes, il y aurait de quoi tirer un Génie du christianisme, non moins poétique et non moins pittoresque que celui de Chateaubriand.

Pour ses fêtes religieuses, pour les fêtes de Pâques, en particulier, Moscou pourrait rivaliser avec Rome, ou mieux, avec Séville, toujours avec cette différence qu’en Russie ces fêtes ont quelque chose de moins théâtral et de plus populaire. Le spectacle de la nuit de Pâques au Kremlin est, en ce genre, un des plus émouvans de l’Europe. Si chacune des deux églises a sa messe de minuit, celle d’Orient préfère, en effet, célébrer la nuit de la résurrection. La foule, rassemblée au pied de la tour d’Ivan Veliki, entre les vieilles « cathédrales » du Kremlin, attend, des cierges en main, l’annonce que le Sauveur est ressuscité. A minuit, les cloches, qui