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les fêtes qui affranchissaient du travail servile ont été pour l’humanité un bienfait. Aujourd’hui même que l’esclavage a disparu, ne voit-on pas, en plusieurs pays, les ouvriers ou employés réclamer des lois contre le travail du dimanche, afin d’être assurés d’un jour de repos ?

Instrument d’émancipation en certaines conditions sociales, les fêtes en se multipliant deviennent une sorte de servitude. Trop fréquentes, elles entravent le travail et le travailleur, elles appauvrissent les particuliers et les nations. Dans les pays protestans, le cultivateur a près de trois cent dix jours pour travailler. Dans les pays catholiques, où les fêtes d’obligation n’ont pas, comme en France, été réduites, l’ouvrier ou le paysan ont encore près de trois cents jours de travail. En Russie, il ne leur en reste guère que deux cent cinquante. Pour les orthodoxes, l’année a, de cette façon, cinq ou six semaines de moins que pour les catholiques d’Italie ou d’Autriche, deux mois de moins que pour les protestans d’Allemagne ou d’Angleterre. C’est là une cause évidente d’infériorité économique, d’autant que, aux fêtes d’obligation, l’usage dans chaque contrée, dans chaque village, dans chaque famille, ajoute des fêtes locales, des anniversaires, les jours de naissance ou les jours de nom, comme on dit en Russie, toutes fêtes que le peuple se plaît à célébrer. Les inconvéniens de ces chômages répétés sont d’autant plus sensibles qu’un grand nombre tombent sur la belle saison. Au temps de la fenaison ou de la moisson, on voit parfois le foin pourrir sur place ou le grain germer, pendant que faneurs ou moissonneurs sont à faire la fête. Aussi les propriétaires répètent-ils que les jours fériés sont une des calamités de l’agriculture russe[1]. Les pédagogues ne s’en plaignent guère moins que les agronomes. J’ai entendu calculer que, pour obtenir des enfans russes autant de travail que des français ou des allemands, il fallait leur demander un ou deux ans d’école de plus.

On comprend que l’opinion et le gouvernement se soient préoccupés de cette question. La plus haute autorité de l’église russe, le saint-synode, l’a même parfois, dit-on, mise à l’étude. Pour réduire le nombre des jours fériés, on pourrait distinguer entre les fêtes et, comme à Rome, par exemple, maintenir pour certaines d’entre elles l’obligation d’assister aux offices, tout en autorisant le travail. Par malheur, il est douteux que tous les sujets du tsar reconnaissent au synode de Pétersbourg le droit de déclasser à son gré des fêtes de tout temps célébrées par l’église. Puis, pour être officiellement supprimées, elles ne cesseraient pas toujours d’être conservées par le peuple. Déjà quelques-unes des fêtes le plus volontiers

  1. Dans le district de Staraïa-Roussa, par exemple, le nombre des jours de travail est réduit à deux cent quarante-cinq ; il en est de même dans celui de Valdaï, tandis que, pour les catholiques de Kovno, il monte à deux cent soixante-dix, et pour les luthériens des provinces baltiques, à deux cent quatre-vingt-dix. (Enquête agricole.)