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peuples. Il n’y a qu’à comparer la surface de la Gaule ou de la Germanie à celle de la Scythie russe pour deviner ce qu’il a fallu de missionnaires à ces vastes solitudes, et que de fatigues et de souffrances ont dû braver les apôtres de l’évangile au milieu de Finnois, de Mongols, de Tatars de païens et de barbares de toute sorte.

Le ciel russe a beau compter de nobles et hautes figures, les saintes phalanges n’y présentent ni la même variété, ni le même éclat que les bienheureuses milices de l’Occident. Le plus patriote des hagiographes ne le saurait contester : ni par l’originalité de leur caractère ou de leur œuvre, ni encore moins par leur influence sur l’histoire ou sur la civilisation, les saints russes ne peuvent s’égaler aux saints de l’église latine, ou d’une seule nation catholique, telle que l’Italie, la France, l’Espagne. On y chercherait en vain des figures à opposer à un Grégoire VII ou à un saint Bernard, à un Thomas d’Aquin, à un François d’Assise, à un François de Sales, à un Vincent de Paul. Encore moins trouverait-on rien de comparable à une sainte Catherine de Sienne ou à une sainte Thérèse. Comme si le térem, ce gynécée moscovite, avait projeté son ombre jusque sur le paradis russe, les saintes, chez ces disciples de l’Orient, sont infiniment plus rares que les saints : leurs traits sont encore plus ternes et plus vagues. Ce défaut de personnalité des bienheureux, ce manque d’éclat et de relief du ciel russe ne tient pas uniquement au rôle plus effacé de l’église ou à la conception tout asiatique de la sainteté dans l’ancienne Moscovie, il tient aussi à l’infériorité de la vie publique et de la vie civile, à l’infériorité même de la civilisation.

L’église orientale, en toutes choses attachée de préférence à l’antiquité, a peu de goût pour les nouvelles dévotions, pour les nouveaux miracles, pour les nouveaux saints. Elle répugne à l’acceptation des visions et des prophéties contemporaines. D’accord avec l’état, l’église s’est efforcée de prémunir le peuple contre sa crédulité séculaire. « Ces moines se sont permis de prétendus miracles, médisait avec confusion un Russe, en me faisant visiter un couvent, mais cela va finir, on l’a défendu. » Un article du code, dirigé il est vrai contre les sectaires, prohibe les faux prodiges et les fausses prophéties. L’église russe n’a pas pour cela, comme les protestans, relégué le surnaturel dans les brumes lointaines du passé, à l’indistincte aurore du christianisme. Elle se dit toujours en possession du don des miracles, aussi bien que du don de la sainteté, y voyant un signe que Dieu est toujours avec elle. Aussi sa répugnance pour les nouveautés ne va pas jusqu’à fermer ses portes à tout nouveau thaumaturge. Elle a, en plein XIXe siècle, admis un ou deux saints.

De pareilles béatifications sont chez elle rarement spontanées ;