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Le service de santé ne pouvait être oublié dans le grand travail de réorganisation entrepris par le gouvernement de Louis XVI. A vrai dire, il ne l’avait jamais été, et peu de matières depuis deux cents ans avaient plus occupé nos rois[1]. En ne prenant acte de l’établissement des ambulances qu’au XVIe siècle, et de celui des hôpitaux militaires sédentaires qu’au XVIIe, la France, a dit un écrivain qui n’est pas suspect[2], « aurait encore la priorité sur toutes les autres nations ; car aucune, dans ces temps et même après l’exemple donné par la France, n’eut d’hôpitaux militaires. Tous les peuples continuèrent à traiter les blessés et les malades dans les tentes et dans les quartiers. Les Autrichiens, les Prussiens, les Danois, les Suédois n’imitèrent les Français que vers le milieu du XVIIIe siècle. »

Toutefois, cette priorité n’avait pas empêché le service de santé de demeurer pendant bien des années, de toutes les parties de l’administration militaire, la plus vicieuse et la plus arriérée. Nulle part les abus, les malversations, le brigandage, — le mot est de Guibert, — n’étaient plus communs et plus impudens ; nulle part la vie du soldat n’était plus exposée que dans ces charniers, où, sous prétexte de traitement, il était livré sans défense à l’avidité des entrepreneurs. « Les hôpitaux sont dans un état si pitoyable que le cœur le plus dur en serait touché, écrivait le comte de Clermont en 1758. Il y règne une saleté et une puanteur qui seules feraient périr l’homme le plus sain. Il n’y a ni lits, ni linge, ni médicamens, et souvent le bouillon manque… » Quelle conscience, en effet, attendre de gens uniquement occupés de faire fortune et qui ne pouvaient y parvenir qu’en volant !

L’entreprise des hôpitaux se donnait à l’enchère et se vendait comme un effet : on se la repassait de main en main, et comme chacun voulait naturellement gagner sur son contrat, il en résultait que le dernier acquéreur cherchait à se rattraper sur les malades du bas prix auquel il avait soumissionné.

La corruption était générale ; elle s’étendait a jusqu’aux contrôleurs pour le roi, honorés de la confiance du ministre de la guerre, lesquels, loin de tenir les entrepreneurs et les régimens dans leurs devoirs, concertaient ensemble les moyens de s’enrichir[3]. » Bien plus : ces entrepreneurs tarés, ces spéculateurs véreux, c’étaient eux, en temps de paix, qui avaient la haute main sur le personnel des médecins, des chirurgiens et des apothicaires, qui les choisissaient et même les rétribuaient[4] !

Telle était encore, en plein XVIIIe siècle, la triste situation du

  1. Voir sur ce point la série des ordonnances.
  2. Xavier Audouin, Histoire de l’administration de la guerre.
  3. Servan, le Soldat-Citoyen.
  4. Jusqu’en 1750, il n’y eut pas de médecins ni de chirurgiens rétribués par le roi.