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responsabilité dans ce désordre, — le fameux Foulon, « ce barbare qui s’est immortalisé chez les Hessois et qu’on vit partout se signaler, dit Retzow, par des cruautés dont le détail affreux révolte l’humanité. » Ces excès sans doute étaient assez rares, et dans un temps où ce qu’on appelle les lois de la guerre autorisaient de si singulières libertés, où Frédéric II lui-même, si sévère sur le chapitre de la discipline, autorisait le pillage en pays conquis, pourvu qu’il fût méthodique et réglé[1], on peut à bon droit s’étonner de leur petit nombre. Mais ils n’en étaient pas moins du plus mauvais effet par le retentissement que leur donnaient déjà les gazettes, et, joints au reste, on ne saurait contester qu’ils aient exercé sur l’esprit et la tenue de la troupe la plus délétère influence. C’est par l’autorité morale et le prestige personnel au moins autant que par la sévérité que le commandement s’impose. Or quel prestige et quelle autorité morale pouvaient avoir des officiers-généraux qu’on savait et que l’on voyait plus occupés de leur table et de leurs équipages ou de leurs plaisirs et des contributions, comme quelques-uns, que de leur service. « Il n’est pas possible, disait Pâris-Duverney, que ce goût n’influe sur l’armée[2]. » Encore s’ils eussent racheté, comme Vendôme autrefois, leurs écarts de conduite et leur mollesse par des coups d’éclat ; mais à part deux ou trois comme le maréchal de Saxe pendant la guerre de Flandre, comme Broglie, Saint-Germain et Condé pendant la guerre de sept ans, la plupart font triste figure et se laissent battre outrageusement ; toutes leurs combinaisons échouent, tous leurs plans avortent : ils ne sont pas seulement malheureux, ils sont ridicules. Après Rosbach, Frédéric ne se donne même plus la peine de les combattre en personne, il se réserve pour les Russes et les Autrichiens, laissant à ses lieutenans le soin de mettre à la raison ces écoliers. Si bien qu’à tous leurs autres torts, ils ajoutent l’impardonnable faute d’humilier le pays et l’armée qui, pour se venger, les chansonnent et les bafouent à qui mieux mieux[3].

  1. « Si la troupe a pris ses quartiers d’hiver en pays ennemi, le général principal aura 15,000 florins de gratification pris sur le pays ; ceux d’infanterie et de cavalerie, 10,000 ; les lieutenans-généraux, 7,000 ; les généraux-majors, 5,000 ; les capitaines de cavalerie, 2,000 ; les capitaines d’infanterie, 1,800 ; les subalternes, 100 ducats ; les soldats, pain, bière et viande gratis, mais point d’argent, parce que l’argent dit déserter. Il faut que le général tienne la main à ce que tout cela se fasse avec ordre. Point de pillage ; mais qu’il ne chicane pas trop les officiers pour quelques légers profits. »
  2. Observations de Pâris-Duverney (20 décembre 1757). — Ces désordres, au surplus, n’étaient pas particuliers à l’armée française. L’armée prussienne elle-même en souffrait : « Si le brigandage et le désordre des femmes et des goujats continue, écrivait Frédéric II au prince royal de Prusse son frère, le 5 juillet 1758. Il sera bon de faire un exemple et de faire pendre quelques-uns de cette canaille. »
  3. Ceci ne s’applique pas à la première année de la guerre de sept ans : Le début de la guerre, en 1757, dit Montbarey dans ses Mémoires, avait été brillant : l’avenir des états du roi de Prusse sur le Rhin, l’occupation presque sans combat du cercle de Westphalie, le passage du Necker, la victoire d’Hastembeck, la conquête de l’électoral de Hanovre, du duché de Brunswick et de tout le pays depuis Brème jusqu’aux portes de Magdebourg, enfin le triomphe et l’éclat spécieux de la capitulation de Closier-Seven, tout avait imprimé à cette campagne un caractère très propre à flatter l’amour-propre de la nation. »