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plus capricieux des peuples ! Quoi qu’il en soit, le règlement de 1788 méritait certes mieux que les colères des contemporains et que l’oubli dans lequel l’histoire en a laissé l’essentiel, pour ne s’attacher, dans cet ensemble de prescriptions à la fois si militaires et si humaines, qu’à une erreur de détail.

Lorsqu’on 1789, le rapporteur du conseil de la guerre se présenta devant les électeurs de son bailliage, ce fut un tolle général contre cet homme, éminent entre tous. Ni le nombre et l’importance de ses services, ni sa double célébrité de tacticien et d’écrivain ne le sauvèrent d’un, pitoyable échec. Dans toute son œuvre, on ne vit que les coups de plat de sabre[1] ; il paya pour Saint-Germain, qui les avait inventés, lui qui avait essayé d’en corriger l’abus. Alors, une grande amertume, un dégoût de vivre s’empara de Guibert ; il prit une dernière fois la plume pour venger, en quelques pages d’une fière allure, le conseil dont il avait été l’âme, puis il ferma les yeux et s’éteignit.


IV. — LA TACTIQUE.

La guerre de sept ans avait eu pour la tactique les mêmes conséquences que pour l’artillerie. Longtemps, en France, on ne s’était pas douté qu’il « se créait sur les bords de la Sprée une science nouvelle[2]. » On n’avait été frappé que des formes extérieures de la tenue des Prussiens, de leur pas cadencé et de la célérité de leur feu ; on ne comprenait pas qu’ils devaient leurs plus beaux succès à la supériorité de l’ordre adopté par Frédéric II. « En vain le maréchal de Saxe nous avertissait que nous étions dans les ténèbres ; en vain, il écrivait au comte d’Argenson cette lettre si connue dans laquelle il démontre que les Français, ignorans comme ils sont, devraient éviter toutes les affaires de plaine et de manœuvres et se réduire à des coups de main[3]. » Sa voix s’était perdue, et l’on en était encore après Rosbach à traiter de faiseurs et de têtes exaltées[4] les militaires assez osés pour réclamer des changemens à la vieille ordonnance française. Le mot même de tactique avait eu de la peine à s’acclimater : on le trouvait pédant, prétentieux.

  1. N’alla-t-on pas jusqu’à l’accuser d’avoir proposé « d’infliger aux officiers la peine des fers et de taire subir aux soldats le supplice de leur couper les jarrets. » (Voir dans le premier volume du Journal d’un voyage en Allemagne, de Guibert, la notice historique de Toulongeon.)
  2. Guibert, Éloge du roi de Prusse.
  3. Ibid.
  4. Montbarey, Mémoires, passim.