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déplacement des eaux, résultat de leurs créations, qui, modifiant profondément le relief sous-marin, forcent la mer à se transporter ailleurs pour rétablir l’équilibre. Sollicité par cette force nouvelle, l’océan se déplace et laisse émerger d’autant les terres ainsi créées, hâtant l’heure où elles se rejoindront. Aux îles de la Société et dans le groupe Loyalty, on peut suivre facilement ce travail de retrait. La mer, peu sensible aux marées, a gravé sur les roches des lignes de niveau, des marches horizontales parfaitement visibles. On y constate quatre baisses successives de l’océan, dont la dernière ne mesure pas moins de 15 mètres.

C’est à cette période que remonte l’apparition de l’archipel des Pomotou, immense réseau madréporique alors enfoui à quelques mètres au-dessous de l’eau. Il ne fait encore qu’affleurer à la surface, mais déjà la végétation l’a envahi et lui donne l’aspect d’une vaste corbeille de verdure. Dans le groupe des Gambier, le même retrait a mis à nu les immenses bancs élevés par les polypiers sur les flancs de ces îles.

Est-ce à leur origine soudaine, incompréhensible pour les Canaques, que les îles Pomotou sont redevables du nom poétique qu’ils leur ont donné d’Iles de la Nuit ou d’Iles Mystérieuses ? Nous les désignons sous le nom d’Iles Basses, les Anglais sous celui d’Archipel Dangereux et de Tuamotou (Iles Lointaines). Ces diverses appellations sont exactes. A l’est des îles de la Société, les Pomotou décrivent une courbe de plus de 200 lieues. Sur ce vaste espace, ce n’est qu’un fourmillement d’îles et d’îlots séparés par des détroits sans profondeur, sillonnés par de rapides courans. Partout les zoophytes à l’œuvre rétrécissent ces étroits canaux, exhaussent le massif sous-marin, diminuant ainsi la distance qui sépare ces terres basses. Longtemps ces îles ont été l’effroi des navigateurs. Pour les apercevoir de la haute mer, il fallait le coup d’œil exercé des indigènes. Sur la plage verdoyante, les cocotiers profilent leurs troncs élancés ; mais entre cette plage et le navire se déroule une enceinte de brisans à fleur d’eau, de récifs qui s’avancent au large. Les passes sont rares ; elles n’étaient pas connues, et les bâtimens engagés dans cet inextricable dédale s’en dégageaient difficilement. Des courans les drossaient sur les écueils, et, dans les nuits noires, ils ne savaient où se diriger entre ces bancs de coraux aux arêtes invisibles et aiguës.

Une race forte et vigoureuse habitait cet archipel. L’Océanie n’avait pas de plus intrépides marins. La mer était leur élément ; ils en vivaient et se jouaient sur ses flots. Le sol ne leur offrait que de maigres ressources : des noix de coco, dont le lait constituait leur boisson, l’eau douce faisant défaut ; le fruit insipide du