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au-delà pour le moment ; mais la polémique soulevée par la prise de possession des Nouvelles-Hébrides, des îles Salomon et d’une partie de la Nouvelle-Guinée, a révélé les vastes ambitions secrètement caressées par les hommes politiques de l’Australie, et qui ne visent à rien moins qu’à la création d’un empire embrassant la Mélanésie tout entière, de la Nouvelle-Zélande à la mer des Molluques, de l’île de Diémen à l’équateur ; au centre de cet immense espace, le continent australien rayonnant sur ces archipels nombreux, par les Célèbes, Bornéo et les Philippines se frayant une route vers la Chine, par Java et Sumatra, vers les Indes.

N’est-ce là qu’un rêve ? L’avenir le verra-t-il se réaliser, et par quelles mains ? Un conquérant sauvage, homme de génie perdu au fond de l’Océan-Pacifique, l’avait conçu, lui aussi. Des plages volcaniques et brûlantes d’Hawaï, il voyait comme dans un mirage, par-delà l’horizon lointain où disparaissaient, irisés d’or, les grands nuages floconneux des vents alisés, des archipels verdoyans peuplés d’hommes de sa race. Il rêvait leur conquête. Vainqueur de ses ennemis, maître absolu de l’archipel Hawaïen, il voulait, ignorant des distances, dédaigneux des obstacles, lancer sur l’océan ses pirogues de guerre, disparaître, lui aussi, comme Lono son fabuleux ancêtre, ne rentrer dans ses états qu’après avoir réuni sous son sceptre les descendans épars de sa race et fondé un empire qui s’étendrait sur 2,000 lieues de mer. Le temps et les moyens d’action lui firent défaut. Kaméhaméha ne put qu’appeler à la vie nationale des tribus toujours en guerre. Son œuvre subsiste, et nous verrons, aux îles Hawaï, ce que peuvent devenir, au contact de notre civilisation et de nos idées religieuses, ces cannibales qui peuplent encore les îles du Pacifique du sud.


C. DE VARIGNY.