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22 décembre 1789. La veille, Rœderer, ouvrant le débat, avait négligé le bourreau ; mais il avait, lui aussi, associé la cause des comédiens à une autre, à celle des Juifs.

Ce n’est pas de Grèce, apparemment, que le mal nous était venu, ou du moins le préjugé contre cette classe d’artistes ; et ce n’est pas non plus de Chine, quoiqu’il y sévisse, d’après notre collaborateur M. Tcheng-ki-tong, depuis bien des siècles : c’est de Rome. N’en déplaise à M. Maugras, — qui, d’ailleurs, ne m’opposerait que des propos vagues, — je crois bien que l’art théâtral, à Rome, ne fut pas d’origine religieuse ni nationale ; qu’il fut un agrément laïque, d’importation étrangère. Ce n’est qu’assez tard qu’on s’avisa de lui donner un air qui ne fût pas profane. Accusé de corrompre les mœurs, Pompée ajoute à son théâtre un temple de Vénus, afin de pouvoir l’appeler, dans l’acte de dédicace, « un temple auprès duquel on a disposé des gradins, » Vers la fin de l’Empire, le gouvernement rattache à la cause désespérée du paganisme les spectacles et les jeux ; il exempte de l’infamie légale, comme revêtus d’un ministère sacré, tous ceux qui aident, sans y participer directement, aux représentations scéniques. Mais ce ne sont là que des expédiens, des roueries de jargon officiel, dont personne n’est dupe, — pas même Tertullien, qui s’écrie : « On étude la morale par la superstition ! » Le théâtre romain est d’abord laïque ; les premiers acteurs sont des esclaves, et, comme tels, soumis au pouvoir absolu du prêteur. Des affranchis, des hommes libres, viennent-ils grossir la troupe, ils tombent sous le même régime : ils sont notés d’infamie. Et qu’on ne soupçonne pas là quelque spéciale cruauté contre le métier d’histrion : les mathématiciens, — Voltaire ne manquera pas de le rappeler, — les astronomes aussi et les médecins, ont le même sort, par la même raison : c’est que la plupart, Grecs achetés, Africains pris à la guerre, sont de condition servile. Ajoutez que, par la suite, pour le public cosmopolite de la Rome impériale, presque tout l’art de la comédie se réduisit à celui de la pantomime, assurément moins relevé. Entre tous les spectacles, enfin, les jeux du Cirque devinrent les plus goûtés : c’était une belle fête, sans doute, qu’un gala sous Trajan, où succombaient dix mille gladiateurs : mais, n’eussent-ils pas été des captifs ou des esclaves, pouvait-on les estimer autrement que des figurans ? Je ne puis admettre que ces hommes, en mourant, aient joué la comédie.

Tel quel, ou plutôt recommandé au goût public par sa remarquable obscénité, le théâtre, à la fin de l’empire, avait la vogue ; les dieux étant mal en point, il fut appelé à la rescousse : deux raisons, pour une, de paraître damnable aux Pères de l’Église. Jamais cependant un concile œcuménique ne frappa de ses rigueurs la profession de comédien. Le concile d’Elvire (Espagne) et celui d’Arles (en Provence) prononcèrent seuls sur la question ; le canon 5 du dernier