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français. Déjà, en 1604, Isabelle Andreïni, de la troupe des ducs de Mantoue, après une heureuse campagne à Paris, étant morte à Lyon, par mégarde, elle avait eu presque à s’en louer : elle serait arrivée au terme de son voyage et aurait eu affaire aux prêtres de son pays, qu’elle n’eût pas obtenu de plus belles funérailles, ni une inscription plus élogieuse dans une église ! On peut aimer plus ou moins l’opéra, a qui nous vint d’Italie, » et disputer s’il « lui vint des cieux ; » mais le certain est que Mazarin lui-même l’appela chez nous, en 1645. Et il n’est pas plus douteux qu’en 1660, — année où Sganarelle fut joué devant le cardinal, — une messe, avec le Deum, pour célébrer la Paix des Pyrénées, ait été chantée dans l’église Saint-Sauveur par les soins de la troupe de l’hôtel de Bourgogne. Après la cérémonie, déclare Loret,

Le curé, prêtres et vicaires,
Chantres, comédiens et moi,
Criâmes tous : Vire le roi !


Ce roi, c’est Louis XIV, éclatant de jeunesse et de gloire, majestueux déjà, mais vif, mais pimpant, mais poussant avec joie sa fortune et ses bonnes fortunes, menant les affaires de l’État et les plaisirs de son âge avec une même ardeur héroïque et galante, c’est le vainqueur de La Vallière, le prince de l’Ile enchantée. Le voici, dans cette illustre fête, dans ce rêve de l’Arioste réalisé par un génie magnifique, le voici en tête de sa quadrille, armé à la façon des Grecs, représentant Roger. Mais derrière cette quadrille, formée de MM. les ducs d’Enghien, de Noailles, de Guise, de Foix, de Coaslin, etc., qui donc apparaît sur un char, qui donc cet Apollon, en l’honneur duquel ces chevaliers vont renouveler les jeux pythiens ? C’est le sieur La Grange. A ses pieds, figurant « les quatre siècles, » sont assis ses camarades Du Croisy et Hubert, Molière, Mlle de Brie. Le siècle d’or, c’est Mlle Molière ; le hasard, apparemment, s’y connaît en symboles : ce règne s’annonce comme singulièrement propice aux comédiens. Avec un visage plus riant que celui du prince de Danemark, le roi de France leur dit : « Vous êtes les bienvenus, mes maîtres ! bienvenus tous ! » Et si l’un de ses courtisans parlait de les traiter « selon leurs mérites, » il ne manquerait pas, lui non plus, de s’écrier : « Beaucoup mieux ! .. Traitez-les selon votre rang, selon votre dignité ! »

Le caprice d’un tel souverain vaut mieux pour les acteurs que la justice des parlemens : il maintient en vigueur la déclaration de 1641 ; il fait passer dans les mœurs les effets de la loi. D’autre part, le vieux droit canonique, sans être aboli, dort dans les rituels. Les Jésuites, qui naguère défendaient tous les spectacles, hors celui d’un hérétique « mis à la torture ou brûlé vif, » les Jésuites s’adoucissent et font de leurs collèges autant de théâtres de société, où le public même s’introduit. Après les charades édifiantes ou didactiques,