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répression, qui se faisait l’apologiste des actes les plus violens. Dès lors, il n’y a plus en en M. Katkof que le vieux Russe, le défenseur passionné de la patrie russe personnifiée dans le tsar, l’adversaire ardent et implacable des Polonais, des libéraux, des révolutionnaires, devenus bientôt les nihilistes. C’est sa carrière de vingt ans, c’est l’inspiration de son talent, le secret de sa faveur auprès du souverain, la raison d’une popularité qui est devenue par degrés une puissance avec laquelle le gouvernement lui-même a été obligé de compter.

Chose curieuse ! plus d’une fois M. Katkof, simple journaliste armé de sa Gazette de Moscou, a pu entrer en lutte avec quelques-uns des ministres, les braver, même les vaincre dans ses conflits, et ce qui s’était déjà produit sous l’empereur Alexandre II a été bien plus vrai encore sous l’empereur Alexandre III, auprès de qui le publiciste de Moscou avait un grand crédit. La presse n’est certainement pas libre en Russie ; M. Katkof seul a pu être libre : il l’a été peut-être par l’autorité de son talent, surtout par le droit de son dévoûment au souverain, comme aussi par la puissance d’une opinion passionnée qu’il a su rallier et diriger. Nul assurément n’a contribué plus que lui à entraîner l’empereur Alexandre II dans la guerre de 1877-1878 pour la délivrance des Slaves des Balkans, pour la grandeur de la Russie, et le jour où il a cru voir son pays frustré en partie du prix de ses efforts par le traité de Berlin, ce jour-là a commencé son antipathie pour l’Allemagne. Il faut voir les choses dans leur vérité. M. Katkof était un patriote russe, rien qu’un patriote russe. C’est la raison de ses opinions et de ses évolutions. Après cela, que quelques Français se hâtent de voir dans le publiciste russe un ami décidé de notre pays, soit ; ils peuvent sans doute honorer un écrivain puissant, mais à la condition de ne pas se méprendre, d’être parfaitement certains que l’amitié de circonstance témoignée par M. Katkof à la France n’était pour lui qu’une manière de servir les intérêts de la Russie.


CH. DE MAZADE.



M. Albert Duruy vient de nous être enlevé après une longue maladie, qui lui permettait cependant de continuer ses belles études sur les armées de la révolution. Notre livraison d’aujourd’hui contient son dernier travail, qu’il a pu, malgré toutes ses souffrances, corriger avec le soin qu’il apportait toujours dans ce qu’il entreprenait. Albert Duruy meurt en pleine possession de son talent d’écrivain, et il est accompagné dans sa tombe de tous nos regrets. La Revue s’unit à la douleur de MM. Victor Duruy et George Duruy, ses collaborateurs et amis.


CH. B.