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IV

Parmi les questions qui préoccupent les hommes politiques, les économistes, les agriculteurs, il convient de mettre au premier rang le crédit agricole. Le crédit, cette alchimie réalisée, cette algèbre de la richesse, cet idéal de l’argent, est-il utile, nécessaire, applicable à l’agriculture ? Utile, nécessaire : comment en douter en présence de cette concurrence étrangère qui, de plus en plus menaçante, prescrit impérieusement de perfectionner les méthodes, de transformer l’outillage, de nous mettre en mesure de lutter, toutes choses qui exigent de nouveaux capitaux ? Et, en descendant du général au particulier, le cultivateur n’a-t-il pas besoin de trouver de l’argent à bon marché en certains cas, afin de parer à des pertes imprévues, franchir une crise momentanée, échapper à l’usurier des campagnes, attendre l’instant favorable pour livrer au commerce sa récolte ? Applicable : ici commence la difficulté ; maint effort a déjà été tenté, maint projet mis en avant, discuté savamment, mainte conception a avorté ; tantôt on se heurtait à la loi, tantôt à des obstacles naturels : on échouait pour avoir méconnu les différences profondes qui séparent le crédit commercial et le crédit agricole. Tout distingue, en effet, le fabricant et l’agriculteur : procédés, but, moyens, nature des choses. Le fabricant achète de la matière première pour la transformer, l’agriculteur crée, lui-même la matière première ; pour les plantes et les animaux, il dispose de la vie, selon le mot de M. de Laveleye, de la puissance de multiplication ; le fonds de roulement du fabricant est essentiellement mobile, se renouvelle toujours ; celui de l’agriculteur est essentiellement fixe, immeuble par destination. Le premier achète et revend à terme, le second argent comptant. Les opérations de l’industrie et du commerce sont rapides, les bénéfices faciles à prévoir. Les opérations de l’agriculture sont à long terme ; elle fait à la terre et pendant longtemps des avances qui ne lui sont pas toujours remboursées, car parfois le soleil, la pluie, deviennent ses collaborateurs et parfois ses plus cruels ennemis, et une sécheresse, un orage violent, une épizootie, peuvent détruire en quelques jours ses plans les mieux combinés. Elle ne saurait donc, comme le commerce, se contenter du papier court ; il lui faut du papier long, il lui faut du temps. Or, ce qui fait le profit du banquier, c’est le mouvement de l’argent ; donc, toutes choses égales, l’escompte agricole sera moins rémunérateur que l’escompte commercial. D’autre part, il convient d’observer que la situation du cultivateur, moins exposé aux brusques reviremens de la fortune, ne se dissimule pas aisément ; à plusieurs lieues à la ronde on le connaît, on sait s’il est mal dans