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l’engagement des récoltes pendantes par racines, que cette loi a fondé le crédit agricole aux colonies, qu’en une seule année la banque de la Guadeloupe a prêté 9 millions aux planteurs. Le droit commun ne permet-il pas que le débiteur saisi soit constitué gardien des objets saisis ? Le vendeur d’objets mobiliers non payés ne conserve-t-il pas son privilège tant que ces effets demeurent en la possession de l’acheteur ? Le gage commercial peut être établi sans tradition par la simple remise du connaissement. La Belgique et l’Italie n’ont pas reculé devant le privilège agricole au profit du prêteur.

Malgré tout, l’innovation réclamée a paru excessive, dangereuse au plus grand nombre. La culture coloniale, a-t-on répondu, ne saurait se comparer à celle de la métropole, qui ne donne relativement que de faibles bénéfices. « Vous appelez cela une loi de crédit agricole, disait un sénateur à la tribune, moi je la baptise de son vrai nom, qui est le discrédit agricole. » Autant vaut écrire que le malheureux agriculteur, paralysé dans ses opérations, ne pourra plus rien vendre. La petite culture manque de fonds de roulement, de capital circulant, de crédit à bon marché, mais elle a encore plus besoin que le bailleur ne se montre pas trop rigoureux à l’échéance. Combien de fermiers ne pourraient vivre si les propriétaires ne leur donnaient du temps ? Vous offrez une garantie au prêteur, mais elle demeure incomplète, et le capital qui s’aventure fait toujours payer ses risques. Et, pendant ce temps, vous diminuez la garantie du propriétaire, qui redoutera toujours une exécution rapide, n’osera plus faire d’avances, accorder des délais à son fermier. Ainsi la loi compromettrait le seul crédit dont il pouvait user sans danger, et le livrerait peut-être à l’exploitation des usuriers de la campagne. Le voilà désormais suspect aux yeux de tous, aux yeux de son bailleur, de ses fournisseurs, car si, par un acte clandestin, il peut conférer un nouveau privilège qui va grever tout son actif, son crédit tombe ; au lieu d’acheter à terme, il devra traiter au comptant, puisqu’il n’inspirera plus aucune confiance.

Ces raisons ont provisoirement prévalu ; mais, de ce que certaines entraves demeurent debout, s’ensuit-il que l’agriculture française ait les mains liées, qu’on ne puisse, dès maintenant, installer des sociétés de crédit agricole ? Loin de là : beaucoup d’agronomes distingués se défient de l’intervention du législateur, de l’état, qui fait payer chèrement ses bienfaits, et trop souvent, dans ses rapports avec le contribuable, donne, comme on dit, une lande pour un pré, un œuf pour un bœuf ; beaucoup estiment que le crédit agricole sera mutuel ou ne sera pas. Seulement, pour qu’il fonctionne, il faut une certaine atmosphère morale, car il ne se produit pas par une sorte de génération spontanée, il sort