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n’était qu’une illusion, et nous nous sentons violemment rejetés au milieu d’un chaos de forces destructives. Pas un bruit, pas un souffle qui n’éveille alors notre attention ; nous nous défions surtout du sol qui nous porte et qui vient de se dérober sous nous. Les animaux, principalement les porcs et les chiens, éprouvent cette angoisse ; les crocodiles de l’Orénoque, d’ordinaire aussi muets que nos lézards, désertent le lit des fleuves et s’enfuient en rugissant vers les forêts. »


II

Au nord-ouest de l’Australie s’étend le grand archipel d’Asie : les Moluques, les Célèbes, Java, Sumatra, Bornéo, les Philippines, terres fertiles et riches entre toutes, où la nature déploie les merveilles d’une faune et d’une flore incomparables. Sur cette mer azurée, dans ces îles aux noms doux et sonores, il semble que la vie atteigne l’apogée de sa puissance et de son intensité ; îles aux parfums enivrans que la brise emporte au large, aux sommets couronnés de verdure, aux plages dentelées, coupées d’anses et de criques, bordées de rideaux de cocotiers élancés, séparées par des détroits qui ressemblent à des fleuves gigantesques, comme celui de Banca, entre Java et Sumatra, dénommé Banca street (rue de Banca), tant la mer y est calme et unie.

Deux vastes courans enserrent ce grand archipel d’Asie. Jetez les yeux sur une mappemonde, et vous verrez que le pôle nord, encerclé de terres, ne peut déverser ses eaux froides dans les mers équatoriales que par des issues resserrées : les détroits de Davis, d’Hudson, de Behring, qui, avec une profondeur moyenne de 100 mètres et une largeur peu considérable, ne présente pas une issue suffisante pour la circulation méridienne rejetée en-deçà du bassin polaire vers le 67e degré de latitude nord. Le Groenland, l’Amérique septentrionale, le Kamschatka, la Sibérie, la Russie, opposent d’infranchissables barrières au mouvement de ces eaux entraînées vers les régions chaudes par l’évaporation constante qui abaisse le niveau de la mer sous la ligné, alors que par la fonte des glaces ce niveau s’élève aux extrémités. Au pôle sud, il n’en est pas de même qu’au pôle nord ; là rien ne fait obstacle à cette force d’attraction qui appelle sous l’équateur les eaux froides. L’Amérique et l’Afrique y viennent finir en pointes effilées, laissant entièrement libres de vastes espaces.

C’est là, dans ces mers ouvertes, que se forme le grand courant connu sous le nom de courantdeHunaboldl.il remonte vers le nord, pénètre dans le Pacifique en longeant les côtes du Chili et du Pérou, vient, à la hauteur de l’Amérique centrale, confondre ses eaux avec les