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revers éclatans que lorsqu’elle semble à l’apogée de sa grandeur, ni plus près de se relever que quand on l’estime perdue, l’Espagne voyait alors affluer dans ses ports les galions d’Amérique et des Indes. Victorieux à Saint-Quentin, Philippe II croyait toucher à la réalisation de son rêve de monarchie universelle. Il tenait les Pays-Bas écrasés sous sa main de fer, il méditait l’assassinat du prince d’Orange, il préparait la folle expédition de l’Armada. Roi de Portugal malgré les Portugais, il ferma les porte de la Péninsule aux Hollandais, dont il voulait châtier la résistance et consommer la ruine. Mais ce peuple flegmatique et obstiné, qui se refusait à subir, avec son joug, celui de l’inquisition, atteint tout à coup dans son commerce, dont il vivait, menacé à la fois dans sa conscience et dans son existence, n’hésita pas à engager avec le maître qui croyait le réduire à merci une lutte inégale en apparence, mais dans laquelle son âpre ténacité devait triompher.

Il n’avait qu’un but ; absorbé par mille affaires, Philippe II ne pouvait concentrer contre lui tous ses efforts. Ses vastes projets dépassaient ses forces ; il avait à faire tête à la France, l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Amérique et les Indes, que révoltaient son fanatisme religieux, sa politique sanguinaire et tyrannique. Les yeux fixés sur ces riches colonies portugaises, dont ils achetaient les produits pour les revendre au monde entier, les Hollandais n’eurent plus qu’une idée : se frayer, eux aussi, une route vers les Indes, et, puisque leurs navires ne pouvaient plus s’approvisionner d’épices dans les ports d’Europe, aller demander ces épices aux lieux d’origine et de production. Trafiquans de seconde main, ils voulaient devenir importateurs, au cabotage substituer la navigation au long cours, et détourner à leur profit un trafic que Philippe II prétendait leur interdire. Mais les navires leur manquaient et aussi les connaissances nautiques ; ils construisirent des navires et étudièrent les cartes. La nécessité fit d’eux d’admirables marins ; ils avaient déjà toutes les qualités du négociant : la probité, l’intelligence et la volonté.

Au début, ils eurent l’idée de chercher par les mers australes un passage plus court vers les Indes. Le rêve qui devait hanter plus tard sir John Franklin, Kane et Perry, les hantait déjà. Ils cherchaient le fameux passage du nord-ouest suggéré par Mercator ; à deux reprises, ils tentèrent de s’ouvrir la voie, se heurtèrent aux glaces, revinrent désappointés, mais non découragés.

Restait la voie du Cap, plus longue, pensaient-ils, et, pour eux, aussi peu connue. Ils se procurèrent des cartes portugaises, firent traduire des livres de bord, et, munis de ces renseignemens, équipèrent quatre navires qui leur coûtèrent la somme, énorme alors, de 700,000 livres, ils en confièrent le commandement à Cornélis