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coups, leur arrachèrent successivement Ternate, Batjan, les îles Benda, Ceylan, Malacca, Kapaha, Sumatra, Macassar, les Célèbes, le cap de Bonne-Espérance.

Maîtres de Batavia, ils en firent un immense entrepôt. Leurs navires y amenaient, débarquaient et chargeaient le riz, le sucre, le café de Java, l’or de Palembang, les épices de Sumatra et de Bornéo, les nids d’hirondelles des Célèbes, la muscade et le girofle des Moluques, les perles et la cannelle de Ceylan. Leurs avant-postes commerciaux étaient au Japon, à Siam, à Mocca ; ils encerclaient l’Inde, accaparant ses produits, portent haut leur pavillon, respectés et redoutés des princes indigènes.

Leur succès prouvait leur force, mais la force ne leur suffisait pas, ils entendaient y joindre la consécration du droit. Ils pressentaient la valeur de l’opinion publique, puissance morale, naissante et vague encore, mais qui s’imposait déjà comme un facteur nouveau aux préoccupations des diplomates et à la conscience des nations, puissance encouragée, sollicitée, tenue en éveil par la découverte de l’imprimerie, les premières gazettes, le besoin de savoir et de comprendre, de résumer dans une formule nette et précise le sens et la portée des événemens.

Cette formule, leur compatriote Grotius la leur donna sous le titre retentissant du Mare liberum, la mer libre ; simple et claire, sympathique et sonore, elle répondait aux aspirations de tous ; elle incarnait un principe de liberté, d’expansion qui du premier coup séduisait. La mer à tous et pour tous, les trois quarts du globe ouverts à l’énergie humaine, aux audacieux, aux vaillans ; le grand espace sans frontières où Dieu n’a mis nulle barrière artificielle, la grande route universelle ouverte enfin.

Grotius n’avait que vingt-cinq ans quand, préludant à sa célébrité future, et chargé par la compagnie de justifier son refus d’accepter les conditions proposées par l’Espagne, il composa ce livre du Mare liberum où il posait en principe l’affranchissement du commerce. Avec une hauteur de vues et une hardiesse de pensée remarquables, il prouvait que les concessions pontificales, les découvertes et les conquêtes ne pouvaient ni supprimer les droits des nations à la liberté des mers, ni justifier un monopole inique pour ceux qui l’exerçaient, désastreux pour ceux qui le subissaient.

L’éclat de ce plaidoyer éloquent autant qu’habile rehaussait singulièrement le prestige et le rôle de la Hollande. Elle apparaissait comme le porte-voix autorisé de l’Europe contre les prétentions excessives de la couronne d’Espagne, contre ce partage arbitraire du Nouveau-Monde par l’autorité pontificale. Elle réclamait au nom de tous contre un privilège injustifiable qui rendait l’univers