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Ils vivaient de la piraterie, ils vivent encore de rapines. Ils exploitent, oppriment et volent les Dayaks, qu’ils réduisent en esclavage et font travailler pour eux, exploités à leur tour par les Chinois, qui lentement les dépossèdent.

Nous retrouvons, en effet, ici cette race asiatique infatigable et souple, telle que nous l’avons déjà rencontrée dans l’Amérique septentrionale et méridionale, dans la Polynésie et dans I’Australasie, et telle que nous la dépeint M. de Pina dans ses Iles de la Sonde : « Malgré des précautions radicales, écrit-il, la population chinoise est restée un épouvantail pour tous les gouvernemens qui se sont succédé. Toujours surveillée, soumise à une police tracassière, entravée dans toutes ses entreprises, son développement est strictement maintenu dans la limite des services qu’elle peut rendre, et ne peut dépasser le chiffre de 30,000 à Batavia… Mais si l’administration néerlandaise a craint de la détruire absolument, elle a cru prudent de la rendre suspecte en la représentant comme un agent intéressé d’intrigues, d’usure et de dissolution. En appelant les Chinois les Juifs de l’Inde, elle a trouvé, pour résumer ses défiances, une de ces formules qui, dans les jours de proscription, servent de mot de ralliement à toutes les inimitiés, de prétextes à toutes les injustices. Précautions inutiles, vains efforts de la jalousie et de la peur ! Le travail, l’intelligence, ont fini par prévaloir au profit même de ceux qui voulaient en contrarier l’essor. Résignés, mais infatigables, faits aux mépris comme aux labeurs, les Chinois continuent patiemment leur œuvre, défrichent les forêts, exploitent les mines de Banca et de Bornéo, pénètrent dans l’intérieur du pays, et portent dans les grands centres de population le camphre, le benjoin, la Comme, la gutta-percha et les mille produits que viennent y chercher les négocians d’Europe. Faits au climat, possédant la langue des naturels, se pliant à leurs mœurs, ingénieux et souples, ne se rebutant jamais, les Chinois semblent prédestinés à ce métier d’intermédiaire, qui consiste autant dans le maniement des caractères que dans l’estimation de la valeur des choses. »

En donnant, en 1841, un coup de pied brutal dans cette fourmilière humaine qui a nom le Céleste-Empire, en faisant brèche dans ces murailles derrière lesquelles il s’isolait du reste du monde, l’Angleterre n’a évidemment fait que devancer d’inévitables événemens ; elle a hâté l’heure d’une invasion pacifique dont nul ne peut encore prévoir les résultats, mais qui marquera dans l’histoire de l’humanité, et dont la date survivra à celle de bien des faits que nous estimons à tort plus importans et plus gros de conséquences.