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gré ses ministres, qui ne sont que les instrumens de sa volonté, et de disposer comme il l’entend de son épée, que le Seigneur des armées a bénie. D’autre part, un peuple ne peut être libre s’il n’a que le droit de se taire. Frédéric-Guillaume IV, qui aimait à parler, aimait aussi qu’on lui répondit, chapeau bas, mais librement : on s’ennuie à la longue de parler seul. Il pensait pourvoir à tout en donnant à ses sujets ce qu’il appelait « des institutions vraiment germaniques, » c’est-à-dire en faisant de la Prusse une monarchie militaire tempérée par des assemblées d’états. Les choses s’arrangeaient à merveille dans sa tête à compartimens, ou tout s’entassait sans se brouiller ; en venait-il au fait, les difficultés abondaient. Il était disposé à donner des pouvoirs assez étendus à ses diètes provinciales ; mais les bureaux s’alarmaient, se plaignaient, protestaient, et on l’obligeait à reconnaître que la bureaucratie et l’armée sont les deux piliers de la monarchie de Frédéric II. Une fois encore, il avait rencontré le mur.

Ce fut surtout après la révolution de 1848 que son esprit travailla ; du matin au soir et du soir au matin, il était en mal d’enfant ; jamais cette imagination féconde n’avait pondu tant de songes d’une nuit d’été. L’assemblée de Francfort s’occupait de transformer la confédération germanique en état fédératif ; elle voulait à la fois affranchir et centraliser l’Allemagne, lui donner une constitution libérale et un chef assez puissant pour imposer ses volontés à l’Europe. Frédéric-Guillaume IV s’était avisé sur-le-champ que dans cette mer agitée il y avait pour un roi de Prusse de gros poissons à pêcher ; mais ce pêcheur avait une conscience, il se faisait un scrupule de prendre, il voulait que le poisson se donnât, il désirait qu’on rétablît le vieil empire germanique et que, par respect pour les traditions, on offrît la couronne impériale à l’Autriche ; mais il désirait aussi que, contente de ce stérile honneur, l’Autriche s’abstînt à l’avenir de s’immiscer dans les affaires allemandes et laissât tout le pouvoir réel à Frédéric-Guillaume IV, roi de Prusse, qui prendrait le titre de roi allemand. Cet événement devait s’accomplir en grande pompe : les souverains rassemblés à Francfort, dans l’église Saint-Barthélémy, pour y remplir leur antique office d’électeurs, les petits princes se pressant autour d’eux, une foule émue, un peuple tout entier ratifiant leur choix par ses acclamations et ses cantiques, il avait déjà réglé toute cette mise en scène ; le décor était beau, et la colombe descendait du ciel. Comme il avait autant d’invention que de mémoire et qu’il aimait à mêler les nouveautés aux vieilleries, il se proposait d’instituer solennellement un archevêque évangélique de Magdebourg, qu’il proclamerait primat de Germanie, primas Germaniæ, et qui le couronnerait de ses mains. « Vous êtes un artiste, vous êtes un antiquaire, lui écrivait Bunsen ; pour l’amour de Dieu, tâchez d’être un souverain et un législateur de l’art de grâce 1848. »