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moissonner que de cracher dans un puits pour y faire des ronds ; que, d’ailleurs, ce ne sont point des clubmen qui hantent d’ordinaire les cabarets de village ; et que le paysan aime âprement la terre. Cependant le romancier, d’un air entendu, frappe de la main sur ses dossiers ; et les reporters, sur sa parole, nous jurent qu’il n’a rien dit qu’il ne puisse prouver, en forme de preuve authentique, dont ne témoigne la collection du Gil Blas et du Figaro. De qui se moque-t-on ici ? de nous ou de M. Zola ? Car, je consens bien que les amateurs trouvent encore d’assez beaux morceaux dans la Terre, un reste de souffle, et, par endroits, presque de la puissance, dans ces descriptions, par exemple, où M. Zola reconstruit la nature et l’ajuste aux exigences de ses propres hallucinations ; mais, dans ce roman de cinq ou six cents pages, on n’en signalerait pas une qui nous apprenne rien sur la campagne ou sur le paysan. Ou, si l’on aime mieux cette autre façon de dire la même chose : le peu de vérité qu’il y a dans la Terre est banal, pour traîner partout, et le peu de nouveauté qu’on y rencontre n’est pas vrai.

Je ne connais point assez le paysan pour m’en faire moi-même une idée très précise, et encore moins, quelque idée que je m’en fasse, pour vouloir la substituer à celle de M. Zola. Je crois seulement que, si le paysan, comme l’ouvrier, par exemple, comme le bourgeois, ou comme le militaire, ont quelques traits qui ne soient qu’à eux, ils ne laissent pas, tous tant qu’ils sont, d’en avoir aussi quelques-uns qui leur sont communs entre eux, et avec moi. Pour être paysan, on n’en est pas moins homme, et pour être homme, ce que j’ose assurer, c’est qu’il faut commencer par différer beaucoup des héros de M. Zola. Et, puisque M. Zola n’est ni le seul ni le premier qui ait voulu peindre le paysan ; ce qui est encore certain, c’est que le sien est le premier et le seul qui fasse en nous cette impression. Si M. Zola veut s’en rendre compte, qu’il le compare au surplus, je ne dis pas même avec ceux de Balzac ou de George Sand, lesquels sont un peu romantiques ou romanesques, mais avec ceux de l’écrivain qu’il semble en vérité s’être proposé de ressusciter parmi nous, ce Restif de la Bretonne de qui nous l’avons plus d’une fois rapproché. Dans la Vie de mon père, l’auteur de Monsieur Nicolas et du Paysan perverti nous a tracé le portrait de sa propre famille : c’est la décence et la gravité mêmes, avec une nuance marquée d’orgueil héréditaire, et un besoin très vif d’estime et de considération. Mais j’oublie que M. Zola ne fera jamais cette comparaison ni nulle autre, parce que lui-même ne s’intéresse pas assez aux histoires qu’il nous raconte, aux personnages qu’il prétend peindre, à cette réalité dont il se croit néanmoins l’interprète. M. Zola ne s’intéresse qu’au succès de ses œuvres, et qu’au développement de sa personnalité. Avec le goût et le sens moral, ce qui lui manque le