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de la Terre, et « le reste a surtout en remplit des colonnes entières. Si le souvenir de Restif, dont je parlais tout à l’heure, troublait encore les nuits de l’auteur de Pot-Bouille, l’auteur de la Terre peut maintenant dormir tranquille : il a surpassé son modèle. Je veux bien croire, — et la preuve que je le crois, c’est que je parle encore de M. Zola, — qu’il ne spécule point lui-même sur le mal que l’on dira de son roman, que les gravelures et les obscénités dont il l’a semé, c’est par scrupule d’observateur et conscience d’artiste, et que, s’il nous promène aussi complaisamment parmi de si sales images, ce sont toujours les excès de l’idéalisme ancien qui continuent de l’y obliger. Mais puisqu’il sait compter, je voudrais qu’il fit une observation : c’est que ses romans se vendent d’autant mieux qu’ils sont plus obscènes ou qu’ils sont plus grossiers. Ni Une Page d’amour, ni Au bonheur des Dames n’ont pu dépasser de beaucoup le cinquantième mille : et ce ne sont point des romans « chastes, » et les fonctions du ventre y tiennent assez de place, et la grossièreté de langage dont M. Zola s’est fait une seconde nature s’y étale encore assez abondamment, mais ce sont enfin des romans presque lisibles. Mais, au contraire, Pot-Bouille a passé le soixante-cinquième mille, l’Assommoir le cent onzième, Nana le cent quarante-neuvième ; et de tous les romans de M. Zola, ce sont les plus graveleux, ou du moins ce l’étaient, avant que la Terre eût paru. Je souhaite sincèrement à M. Zola que l’éclatant insuccès de la Terre démente la leçon qu’il aurait dû lui-même tirer depuis longtemps du seul rapprochement de ces chiffres ; et je suis persuadé qu’il le souhaite avec nous.

Ce qui n’est enfin ni moins grave que le reste, ni d’ailleurs moins faux dans la Terre, c’est la grossièreté du langage. M. Zola, qui n’en connaît le sens que tout juste, n’a évidemment jamais connu la valeur ni le pouvoir des mots. S’il écrivait pour les paysans ou pour les ouvriers, on le lui passerait encore ; mais il écrit pour les bourgeois ; et s’il croit qu’un ignoble blasphème ou une sale injure aient la même signification pour le bourgeois, qui les fit imprimés dans un livre, que pour le paysan ou l’ouvrier qui les profère, je l’assure qu’un « écrivain » et un « naturaliste » ne sauraient se tromper davantage. Je ne dirai point qu’aux faubourgs et dans les campagnes, il y a des termes d’ignominie qui s’échangent de bonne amitié et presque comme des caresses ; mais un gros mot, dans la bouche d’un homme du peuple, n’en dit pas plus qu’un mot beaucoup moins gros dans celle d’un bourgeois. Le tonnerre de Dieu d’un charretier, — si l’on me permet de donner un exemple, — est à peu près l’équivalent du sacrebleu d’un petit bourgeois ; et devers Belleville ou Montmartre, on dit d’un ami qu’il est f… avec le même sentiment de commisération que l’on dit en un autre endroit « qu’il n’en échappera pas. » Et c’est bien