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camp, pour soutenir la politique russe dans la principauté balkanique. M. de Bismarck, qui n’en est pas à une évolution près, a visiblement, depuis quelques jours, changé de ton dans sa diplomatie, et semble tourner ses calculs vers d’autres combinaisons.

On ne peut s’y tromper, en effet : cet incident bulgare est devenu rapidement le point de départ d’une sorte de changement de l’échiquier européen, ou plutôt il n’a fait que dévoiler une fois de plus ce qu’il y a d’inconstant et d’artificiel dans toutes ces combinaisons qui s’appellent tantôt l’alliance de l’Europe du centre, tantôt l’alliance des trois empereurs. Il n’a pas sensiblement modifié, si l’on veut, les rapports généraux entre les grands états ; il crée peut-être pour quelques-uns une situation assez nouvelle. Évidemment, depuis quelque temps, les rapports entre l’Allemagne et la Russie ont été quelque peu tendus. Les deux empires n’ont cessé de se poursuivre sur leurs frontières d’une petite guerre de représailles, de mesures d’exclusion et de police dont les populations ont payé les frais. Il y a eu des momens où les Allemands se sont sentis violemment irrités des relations que la Russie semblait nouer avec la France, de l’attitude énigmatique et menaçante qu’elle prenait en face des conflits qui pouvaient éclater, et les journaux du teutonisme ont même engagé toute une campagne de polémiques acerbes contre le crédit financier de l’empire russe. On aurait dit deux adversaires se préparant au combat. Aujourd’hui, tout est changé, le rapprochement est accompli, ou tout au moins commencé. M. de Bismarck a cru trouver dans les affaires bulgares une occasion favorable pour regagner l’amitié russe, et il l’a saisie sans plus de façon, sans craindre de fausser compagnie à l’Autriche. Le chancelier de Berlin, qui ne fait rien pour rien, a certainement compté en finir d’un seul coup, par son évolution hardie, avec ce mirage ou cette obsession d’une alliance éventuelle de la Russie avec la France. Il a plus d’une fois joué de ces parties, il les a souvent gagnées ; il a du moins réussi à déconcerter l’opinion, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est le puéril étonnement de quelques Français, improvisés diplomates, patriotes des manifestations bruyantes, qui, après avoir pensé trouver à Moscou et à Saint-Pétersbourg l’alliée ou la complice de leurs rêves, après être allés porter leurs hommages au tombeau de M. Katkof, ont cru s’apercevoir bientôt qu’ils avaient peut-être pris leurs fantaisies pour des réalités, qu’ils en étaient pour leurs démonstrations : c’est ce qu’on pourrait appeler la note comique dans des affaires sérieuses.

La vérité est que, s’il y a quelque chose de manifestement changé par le retour calculé du chancelier de Berlin vers le cabinet de Pétersbourg, le changement n’est peut-être pas aussi grand qu’on le dirait, qu’il n’y a pas plus d’alliance entre l’Allemagne et la Russie aujourd’hui qu’il n’y avait, il y a quelque temps, d’alliance entre la